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et l’on a diverses expressions qui ont été empruntées d’eux[1]. » Selon Giannone, ce sont les Byzantins qui ont laissé à Naples dans le langage ces preuves de leur séjour. Les réflexions de M. Amari sur ce point me paraissent plus justes et plus vraies, parce qu’au lieu de rapporter seulement ces empreintes du grec à la domination byzantine, il y trouve la marque d’un plus ancien mélange fait dès l’antiquité entre les populations italiotes et les colonies grecques. La langue grecque a suivi dans l’Italie méridionale et en Sicile les vicissitudes de la Grèce. Au temps de l’expédition d’Athènes, on parlait en général le grec en Sicile, puisque les prisonniers athéniens soulageaient leur misère en récitant pour quelques oboles les tragédies d’Euripide pendant les repas des Siciliens. Quand la Sicile tomba sous le joug des Romains, le latin prit peu à peu l’ascendant sur le grec. L’historien Diodore dit que de son temps on parlait les deux langues en Sicile. Jusqu’au VIe siècle de l’ère chrétienne, les inscriptions publiques et privées sont en latin, ainsi que les titres des magistratures municipales. C’était encore la langue du gouvernement. Quand vers la fin du VIe siècle, à Constantinople, le grec remplaça le latin et devint la langue du gouvernement, la langue grecque, aidée par les anciennes habitudes du pays, prit aisément le pas sur la langue rivale ; mais n’oublions pas que la lutte se passait au-dessus de la tête du peuple, entre deux idiomes officiels et lettrés. Il s’était formé en effet en Sicile et dans l’Italie méridionale, du mélange des vieilles langues italiotes et de la langue latine, un langage populaire qui était le commencement de la langue italienne et qui dans les chroniques du temps s’appelait la langue latine. Il suffit de lire quelques-unes des chroniques du Xe et XIe siècle publiées par Pertz[2], notamment celle d’où j’ai tiré l’histoire du sultan Florent de Païenne et de la belle Gysa de Bénévent, pour voir la singulière altération qu’avait subie la langue latine. C’est cette langue latine, ou plutôt italienne, qui devait l’emporter sur le grec. Jusqu’au VIIIe siècle, en Sicile et dans l’Italie méridionale les noms propres sont plutôt grecs que latins. Quand au milieu du VIIIe siècle les églises de la Sicile et de l’Italie méridionale furent soumises au patriarche de Constantinople et distraites de l’église de Rome, ce changement de juridiction donna un ascendant momentané à la langue grecque ; mais l’esprit italien, — je ne puis plus dire l’esprit latin, — luttait contre la langue grecque, qui était la langue de maîtres odieux, et prenait peu à peu l’ascendant, non pourtant sans recevoir l’influence de la langue même qu’il repoussait. La prépon-

  1. Histoire civile du royaume de Naples, livre IV, ch. 10.
  2. Scriptores rerum germanicarum.