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là, ils se répandent dans la ville, tuent et pillent. Le patrice, avec soixante nobles syracusains, s’enferme dans une tour et résiste jusqu’au lendemain. Une troupe de musulmans court à la cathédrale, où l’archevêque Sophronius et trois prêtres, parmi lesquels le moine Théodose, s’étaient dépouillés de leurs vêtemens sacerdotaux, afin de n’être point reconnus. Vêtus d’un pourpoint de cuir, ils s’étaient tapis entre le maître-autel et la chaire épiscopale. Sophronius attendait et promettait un miracle ; les autres se demandaient mutuellement pardon de leurs fautes, comme à l’article de la mort, et ils remerciaient Dieu, dit Théodose, de l’épreuve qu’il leur envoyait. Voici que les musulmans entrent dans la cathédrale, et l’un d’eux, avec son épée dégouttante de sang, court derrière l’autel, tire les fugitifs de leur abri, sans les maltraiter ni les menacer. Frappé de l’aspect vénérable de l’archevêque, il lui demande en grec qui il est. L’archevêque se nomme. « Où sont les vases sacrés ? » dit le musulman, et il se fait mener dans la chambre où étaient gardés ces vases, qui, dit Théodose, pesaient cinq mille livres d’argent et d’or. Le musulman enferme ses captifs dans cette chambre, puis il va chercher les chefs de l’armée et obtient la vie des prisonniers. »

M. Amari, disposé à admirer les musulmans, cite le nom de ce guerrier qui savait épargner les vaincus ; mais à voir les épouvantables massacres qui suivirent la victoire, et cela pendant une semaine entière et de sang-froid, il faut croire que Semaioun, c’est le nom du bon musulman, était de l’élite. M. Amari pense que c’était un converti au mahométisme qui gardait, encore quelque affection pour ses compatriotes. Le brave gouverneur de la ville fut égorgé un des premiers, et il reçut la mort la tête haute et comme s’il allait au combat ; le moine Théodose l’appelle un saint, il l’était, puisqu’il combattait et mourait courageusement pour défendre sa religion et sa patrie. Il y avait aussi parmi les défenseurs de Syracuse un autre guerrier que les musulmans connaissaient bien à cause des grands coups d’épée qu’il donnait et des imprécations qu’il prononçait à chaque coup d’épée contre le prophète Mahomet. Les musulmans lui écorchèrent la poitrine et lui arrachèrent le cœur, qu’ils déchirèrent à belles dents. A Dieu ne plaise que je veuille diminuer l’horreur de cette atrocité, mais c’était une croyance des Arabes que le cœur était le siège du courage de l’homme. Un de leurs plus cruels tyrans, un des fous les plus sanguinaires qui aient jamais régné, Ibrahim-ibn-Ahmed, ne manquait jamais, quand un de ses ennemis avait montré un grand courage, de lui faire arracher le cœur pour l’examiner curieusement, comme s’il pouvait y surprendre le secret du courage qui l’avait étonné. A la prise de Taorminium (902), Ibrahim fit amener devant