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la marine grecque et les divisions de sectes et de partis qui troublaient l’Orient mahométan arrêtèrent un peu le torrent des invasions musulmanes dans l’Italie méridionale. Il y avait des incursions, il n’y avait pas encore de conquêtes. La Sicile et l’Italie méridionale étaient partagées entre les Grecs et les Lombards, qui dans la seconde moitié du VIIIe siècle s’alliaient encore pour repousser la conquête carlovingienne. Cependant, toute soumise qu’elle était à l’empire grec, la Sicile avait de grands rapports de commerce avec l’Afrique mahométane. Les huiles de l’Afrique se vendaient alors dans tout le bassin de la Méditerranée, et un chroniqueur arabe raconte que, la première fois que les habitans de l’Afrique, récemment conquise par les musulmans, vinrent payer le tribut à leurs vainqueurs, un des capitaines arabes, voyant apporter un sac de pièces d’or, demanda à un des contribuables comment ils gagnaient cet or. Celui-ci, cherchant autour de lui, aperçut un olivier, le montra à Abdallah et lui dit : « Voilà d’où nous tirons notre or ; les Romains n’ont point d’oliviers, et ils nous paient notre huile avec cet or. » Ainsi, malgré la guerre, le commerce se faisait dans le bassin de la Méditerranée. Il y avait même des marchands arabes établis en Sicile avant la conquête, et les musulmans n’étaient point des inconnus pour l’Italie. Souvent opprimés par les gouverneurs byzantins, les Siciliens et les Italiens méridionaux étaient parfois amenés à penser que les musulmans, leurs ennemis, ne leur faisaient guère plus de mal que les Grecs, leurs défenseurs. Je ne crois pas, comme M. Amari, que la conquête de la Sicile par les musulmans fut un bonheur pour les Siciliens ou tout au moins une secousse heureuse. A lire sa savante histoire, on voit que le bonheur des Siciliens a consisté à changer de servitude. Ils aimaient fort peu leurs maîtres byzantins ; ils n’aimèrent guère mieux leurs maîtres sarrasins. L’anarchie musulmane remplaça la paralysie grecque. La seule ressemblance entre les deux régimes, c’est que le fisc fut aussi dur et aussi tyrannique sous les musulmans que sous les byzantins, et cette ressemblance suffisait pour ôter aux Siciliens toute envie de préférer le nouveau régime à l’ancien.

Ce qui aliéna le plus les Siciliens de l’empire grec, ce fut la querelle des iconoclastes. On sait la guerre acharnée que les empereurs iconoclastes firent aux images. Les Siciliens et les Italiens méridionaux aimaient et aiment encore les images, nouvelle cause de division entre eux et les Byzantins ; mais ce n’était pas assurément une cause d’attachement et d’union avec les musulmans, plus grands ennemis des images que les iconoclastes eux-mêmes. Détester les iconoclastes et pencher vers les musulmans, dont les doctrines