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impérial bâti sur le Bosphore, et il croyait qu’en quittant ce palais il échapperait à l’apparition vengeresse. Il ne transporta pas seulement ses remords en Occident, il y transporta tous les vices de sa nature et tous ceux de son gouvernement. Il commença son établissement en Occident par aller piller Rome, et il poussa la cupidité jusqu’à dépouiller le Panthéon de sa toiture de bronze. De plus il se fit battre par les Lombards de Bénévent. Le nouvel empereur d’Occident arriva donc à Syracuse doublement déshonoré par ses brigandages et par ses défaites. C’étaient de tristes auspices pour le nouvel empire. Bientôt les Siciliens sentirent la présence de l’empereur par les exactions du fisc, devenues plus violentes, et par les débauches qui désolaient les familles. Les Italiens de la Pouille et de la Calabre, les villes de l’Afrique encore romaines, connurent aussi ce qu’était le voisinage impérial. Enfin un beau jour Constant fut assassiné dans le bain par un de ses officiers, et le projet d’empire dans la Méditerranée, ruiné d’avance par les vices de l’auteur, tomba pour toujours avec lui (mort de Constant, 608)[1].

L’empire grec avait une forte marine, et Montesquieu compte sa puissance maritime parmi les causes principales de sa durée. C’était là aussi ce qui le rendait propre à avoir son siège en Sicile. L’Italie et la Sicile sont par la nature elle-même, je l’ai dit, vouées à la marine, et l’histoire enseigne que toutes les fois qu’elles ont négligé la marine, elles ont perdu leur puissance et leur prospérité. Constantinople a la même destinée : tant que la marine turque a été forte, l’empire turc a été puissant. Il a perdu sa grandeur le jour où il a commencé à négliger la marine. Ce qui dans l’empire grec soutenait la marine, « c’est que, dit Montesquieu, Constantinople faisait le plus grand et presque le seul commerce du monde dans un temps où les nations gothiques d’un côté et les Arabes de l’autre avaient ruiné le commerce et l’industrie partout ailleurs. Les manufactures de soie y avaient passé de Perse, et depuis l’invasion des Arabes elles furent fort négligées dans la Perse même. D’ailleurs les Grecs étaient les maîtres de la mer ; cela mit dans l’état de grandes richesses et par conséquent de grandes ressources[2]. » Plus loin, Montesquieu montre qu’une des causes décisives de la ruine de Constantinople fut que pendant et après l’empire latin « le commerce passa entièrement aux villes d’Italie, et Constantinople fut privée de ses richesses… Le commerce même de l’intérieur se fit par les Latins. »

Pendant la première moitié du vine siècle, la prépondérance de

  1. Storia dei Musulmani di Sicilia, t. Ier, p. 84 et 95.
  2. Grandeur et Décadence des Romains, chap. XXXIII.