Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/695

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cesse d’infidélité. Avant même la grande expédition du fils de Mousa, en 704, les courses des musulmans avaient commencé en Sicile ; les campagnes avaient été ravagées, des villes brûlées, des femmes enlevées et transportées en Syrie, près de Damas, où elles avaient bien vite oublié, selon les historiens byzantins, leur patrie, leurs familles et leur foi. En apprenant ces ravages, le pape Martin Ier (649-654) avait envoyé des aumônes en Sicile, et il avait racheté quelques-uns des captifs faits par les musulmans. Comme l’église romaine avait de grands domaines en Sicile, c’étaient peut-être des colons de ces domaines que le pape avait délivrés à prix d’argent. La cour de Byzance l’accusa d’avoir traité avec les musulmans et de s’entendre avec eux pour soustraire la Sicile à la domination de l’empereur. Cette étrange accusation fut le prétexte d’une affreuse persécution contre le pape Martin. Il fut arraché de Rome, jeté sur un vaisseau, transporté, avec toute sorte d’outrages et de mauvais traitemens, à Constantinople, où il fut flagellé comme un criminel, traîné à travers les rues avec un collier de fer et précédé du bourreau, qui brandissait la hache, enfin relégué à Cherson, où il mourut comme un martyr. Ce n’était pas seulement le pape Martin que l’empereur Constant avait voulu frapper ; c’était la papauté elle-même, dont l’ascendant en Italie inquiétait et gênait la cour de Byzance. Il fallait toutefois défendre l’Italie autrement qu’en persécutant les papes, et l’empereur Constant eut l’idée d’y reporter le siège de l’empire et de faire l’œuvre de Constantin. Il ne voulait pas retourner à Rome : la vieille capitale lui déplaisait par ses souvenirs anciens et par son pouvoir nouveau, la papauté. Comment être empereur à côté du pape ? D’ailleurs les successeurs de Constantin croyaient volontiers qu’un prince peut faire une capitale, et cela flattait leur vanité. L’aïeul de Constant, le brave et aventureux Héraclius, avait déjà eu la pensée de mettre le siège de l’empire en Afrique. Constant voulait le mettre en Sicile : ils songeaient évidemment tous les deux à s’assurer du bassin de la Méditerranée. Constant quitta donc Constantinople ; il y laissa sa femme et ses enfans comme otages, afin d’apaiser une sédition du peuple, qui ne voulait pas que Constantinople perdît son titre et ses avantages de capitale, et il vint s’établir à Syracuse. C’était en 663.

L’idée n’était pas mauvaise : l’établissement de l’empire à Syracuse aurait peut-être sauvé la Méditerranée des incursions qui allaient la désoler ; mais il n’y a de bonnes œuvres en ce monde que celles qui ont de bons ouvriers. Constant, en venant à Syracuse, fuyait surtout Constantinople et ses remords : il avait tué son frère, dont le spectre, dit-on, le poursuivait les nuits dans le palais