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convient ce labeur. Qu’ils construisent partout des navires, comme ils le font déjà en plusieurs endroits ; qu’ils naviguent, qu’ils aient d’abord une grande marine de commerce : la marine de guerre viendra d’elle-même. Je me souviens qu’allant de Gênes à La Spezzia par la belle route de la Corniche du Levant, nous nous arrêtâmes pour déjeuner à La Rota, au haut de la montagne, et que mon voiturin me montra en bas, au bord de la mer, un petit village où l’on construisait, me disait-il, beaucoup de navires et où il se faisait beaucoup d’expéditions pour l’Amérique. Aussi y avait-il dans ce petit village plusieurs millionnaires, me répéta-t-il deux ou trois fois avec l’accent d’admiration et d’estime qu’inspire partout le millionnaire. J’ai oublié le nom de ce village ; mais il y a là certainement un grand exemple et une grande leçon pour l’Italie. Castellamare aussi, près de Naples, qui, il n’y a pas plus de quarante ans, n’était qu’un village de plaisance, est aujourd’hui un port de commerce. On y bâtit des navires, il y a de grands magasins, peut-être ne songe-t-on qu’à faire fortune ; il n’en est pas moins vrai que dans le petit village au bas de La Rota et à Castellamare on est sur la route des vrais destins de l’Italie, et on tourne habilement et heureusement le dos à la mauvaise fortune des rois lombards et des ducs de Bénévent, qui ont cessé d’être rois et ducs pour n’avoir pas su être ou avoir des marins.

La seconde cause de la chute du duché de Bénévent est le morcellement féodal. Les Lombards introduisirent la féodalité dans l’Italie méridionale, et les ducs de Bénévent y multiplièrent les comtes et les seigneurs. « Cette multitude de comtes, dit Giannone dans son Histoire civile de Naples, contribua beaucoup à augmenter le relief des princes de Bénévent, » et il remarque à ce propos que « beaucoup des grandes maisons de Naples descendent de ces comtes et seigneurs du duché de Bénévent[1]. » Ces paroles de Giannone sur l’honneur que se faisaient les ducs de Bénévent en s’entourant d’un grand nombre de comtes me rappellent les paroles de Tacite[2] : Hœc ducum dignitas, hœc vires magno semper electorum juvenum globo circumdari’, in pace decus, in bello prœsidium. Nec solum in gente sua cuique, sed apud finitimas quoque civitates et nomen et gloria est, si numéro ac virtute comitatus emineat. « C’est l’honneur et la force des chefs germains d’être toujours entourés d’une troupe de jeunes gens d’élite ; c’est leur ornement dans la paix et leur puissance dans la guerre. Avoir une cour de compagnons nombreux et braves ne fait pas seulement la renommée des chefs dans leur cité, mais dans les cités étrangères. » La bande

  1. Histoire civile de Naples, t. Ier, p. 480.
  2. De moribus Germanorum, chap. 13.