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j’appelle la légende de l’expulsion des musulmans. Les femmes ont part à cette légende, comme elles ont eu part à la légende de l’invasion.

Je crains bien que ces légendes, qui s’enfilent l’une au bout de l’autre comme des contes arabes, ne fassent tort à celle que je veux raconter comme un dernier témoignage de la renommée et de la puissance des ducs de Bénévent. Celle-là n’est qu’un chapitre de roman de chevalerie tout à fait fabuleux, non pas que ce conte, comme toutes les légendes, ne se rattache par quelque point à l’histoire ; mais il mêle ensemble le VIIe siècle et le Xe siècle, il tient peu de compte de la chronologie : il est seulement fidèle à ce que j’appelle l’histoire morale, c’est-à-dire aux traditions populaires et aux sentimens religieux et nationaux de l’Italie à cette époque. Les deux traits principaux de cette tradition sont premièrement le mélange obligé d’une aventure de femme aux événemens politiques du temps, en second lieu la glorification de l’héroïsme guerrier des Lombards de Bénévent.

Le duc de Bénévent Romuald avait une sœur nommée Gysa, qui aimait uniquement le Christ, et qui ne songeait pas aux joies humaines du mariage. Elle était très belle, très gracieuse, et la renommée de sa beauté remplissait le monde. Le sultan de Palerme, apprenant que la belle Gysa était à Bénévent, assembla une grande armée de barbares accourus de l’Afrique et de la Babylonie ; il l’embarqua sur des vaisseaux rapides et vint aborder à Amalfi. Son armée couvrait la terre comme les sauterelles couvrent les campagnes. Prenant leur course en furieux, les barbares arrivèrent à Bénévent. Quand les Lombards de Romuald virent cette innombrable armée, ils eurent grande crainte. Romuald leur disait : « Levons-nous tous et marchons contre nos ennemis ; » mais les Lombards lui répondaient : « Nous ne pouvons pas marcher contre une si grande armée. Il vaut mieux nous renfermer dans les remparts de notre ville et envoyer des messagers à notre roi Grimoald, ton père, afin qu’il vienne à notre secours. Alors nous combattrons nos ennemis. Nous sommes trop peu en ce moment. » Romuald leur dit : « Loin de nous cette timidité ! Depuis qu’Alboin, le premier de nos rois, a amené les Lombards de la Pannonie en Italie, jamais il ne s’est trouvé pareille faiblesse parmi les Lombards. Eh bien ! si notre fin est venue, mourons courageusement pour notre patrie, et ne laissons pas à nos ancêtres la gloire d’avoir été braves et victorieux. » Il y avait un grand deuil parmi les Lombards en voyant leur petit nombre. Les anciens habitans de Bénévent étaient les plus affligés. Radalgise, un des parens de Romuald, traitait secrètement avec les barbares. Les princes pleuraient leurs principautés perdues, et c’étaient ceux même qui passaient jusque-là pour