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ces trente-deux philosophes étaient de médiocres savans et de médiocres lettrés ; ils brillaient au milieu de l’ignorance générale et faisaient honneur à leur pays.

Il y a parmi ces ducs de Bénévent, et surtout pendant leur lutte contre les Carlovingiens, quelques hommes remarquables. Ainsi Grimoald II, sous le règne de Charlemagne, défend intrépidement l’indépendance lombarde, dont Bénévent était le dernier refuge. Charlemagne avait nommé roi d’Italie son fils Pépin, et le jeune prince supportait avec impatience que Grimoald osât lui résister. Il lui envoya des députés chargés de lui dire de sa part qu’il voulait que de même qu’Arelghis, son père, avait obéi à Didier, roi des Lombards, il lui obéît comme au roi d’Italie ; mais Grimoald lui répondit par ces deux vers latins :

Liber et ingenuus sum natus utroque parente ;
Semper ero liber, credo, tuente Deo[1].

Voilà un orgueil de liberté et de noblesse qui est tout germanique et tout barbare ; quoiqu’il s’exprime en vers latins ; mais, comme la cour de Charlemagne visait à la gloire littéraire, Grimoald voulait, en cela aussi, rivaliser avec ses adversaires. Le fils de Charlemagne, tout jeune et tout puissant qu’il était, ne put pas vaincre Grimoald, qui mourut en 806, avant Charlemagne, et les Bénéventins lui élevèrent un tombeau avec une épitaphe où ils dirent que Grimoald n’avait pas été soumis par les Français :

Sed quid plura feram ? Gallorum fortia régna
Non valuere hujus subdere colla sibi.


Je me défie de l’authenticité de cette épitaphe, qui fait du même coup un compliment à Grimoald et aux Français, à celui qui n’a pas été vaincu et à ceux qui n’ont pas été vainqueurs. Cette épitaphe du ixe siècle pourrait bien être du XIVe siècle, sous la maison française d’Anjou.

Je pourrais prendre encore çà et là dans l’histoire des ducs de Bénévent quelques personnages et quelques événemens intéressans ; j’aime mieux chercher dans les romans et dans les récits du temps le témoignage de l’ascendant qu’avaient au ixe siècle les ducs lombards de Bénévent. Dans les temps éclairés, l’histoire, quand elle échappe à l’esprit de parti ou de système, au désir de flatter le pouvoir debout ou à l’envie d’attaquer le pouvoir tombé, est le meilleur et le plus sûr témoin des choses et des hommes ; mais dans les siècles barbares et confus comme ceux, dont je parle en ce moment l’histoire est sèche et stérile. J’aime mieux alors la tradition et la

  1. « Je suis né libre et noble du côté de mon père et de ma mère, et je serai toujours libre, je l’espère, avec l’appui de Dieu. »