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Le droit lombard luttait contre le droit romain et l’emportait dans les parties de l’Italie méridionale qui dépendaient du duché lombard de Bénévent. Comme les Lombards étaient d’origine germanique, le droit lombard était essentiellement féodal et se répandait avec la féodalité. Aussi, quand les Normands conquirent l’Italie, la loi lombarde prévalut décidément sur la loi romaine dans l’Italie méridionale. Les Normands sont la dernière invasion germanique ou Scandinave, et ils furent à ce titre en Europe, au IXe siècle, les restaurateurs du régime féodal, déjà affaibli et altéré, ils l’appliquèrent avec une telle force que l’empreinte s’en est pour ainsi dire conservée jusqu’à nos jours, partout où ils l’ont mise, en Angleterre par exemple et dans l’Italie méridionale et dans la Sicile, où la grande noblesse garde encore quelque chose de l’ascendant de la féodalité, sans savoir, comme en Angleterre, s’en servir pour la liberté. Comme la conquête normande avait féodalisé l’Italie méridionale[1], le droit lombard garda sa prépondérance dans le royaume de Naples jusqu’au milieu du XIVe siècle sous la maison d’Anjou ; alors l’école des jurisconsultes et du despotisme rendit la primauté au droit romain.

Je me souviens d’avoir vu au couvent de la Cava un manuscrit des lois lombardes du IXe au Xe siècle ; j’aimais à toucher de mes mains ce témoin d’un temps si ancien et ces lois faites par des princes barbares pour conserver ou rétablir un peu d’ordre social à travers la confusion violente des événemens. Puis ma pensée passait naturellement de ces monumens antiques aux lieux où je les voyais et aux bénédictins intelligens, instruits et aimables, qui me les montraient. Quels lieux ! une vallée ou plutôt une fente et un trou (cava) dans la montagne, et au fond de cette fente un couvent à l’endroit le plus sauvage, adossé à la montagne ! Mettez cela dans nos climats septentrionaux, même dans nos Alpes, quelle triste et affreuse solitude ! mais la resplendissante lumière du midi inonde ces rochers qui n’ont plus d’obscurités, et ce qui serait une cave au nord devient un abri et un ombrage au midi. Les arbres, les rochers, ce qui reste même des vieux murs du couvent, tout est vêtu d’une pourpre lumineuse. L’œil sent pour ainsi dire que derrière cette montagne est la mer immense et étincelante, cette mer que les fondateurs de la Cava n’avaient pas sans doute voulu voir, puisqu’ils lui avaient volontairement tourné le dos, soit que l’aspect de la mer eût pour eux l’inconvénient de faire penser à je ne sais combien de choses inconnues et de lointaines aventures, soit plutôt que voir la mer et en être vu fût un danger dans ces temps d’incursions musulmanes. Les moines de la Cava ont été moins

  1. Voyez l’Histoire civile du royaume de Naples, par Giannone, 4 vol. in-4o, t. Ier, livre V, ch. 5.