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Jusqu’à l’apparition des musulmans dans la Méditerranée, la Sicile était aisément restée soumise à l’empire de Constantinople. Avec les musulmans, tout change, non pas seulement pour la Sicile, mais pour la Méditerranée tout entière. A qui restera la Sicile ? à qui restera l’empire de la Méditerranée ? Aux musulmans ou aux chrétiens ? Et parmi les chrétiens, qui l’emportera ? Il y a deux peuples ou deux états parmi les chrétiens qui au IXe siècle se disputent l’Italie méridionale et la Sicile : les Lombards de Bénévent et de Salerne, les Grecs de Constantinople. Ce sont ces deux états dont je veux caractériser rapidement la destinée et les principaux personnages en montrant la part qu’ils ont prise à la lutte contre les musulmans ; mais c’est surtout les petites républiques de cette Italie méridionale, les glorieuses devancières de Pise, de Gênes et de Venise, dont j’aimerais à signaler les efforts et la puissance.

Un mot d’abord sur les duchés lombards de Bénévent et de Salerne.

La royauté lombarde a laissé d’elle une grande mémoire en Italie. L’éclat de ses conquêtes a frappé les imaginations ; l’Arioste a chanté le roi Autharis, qui porta son étendard du pied des montagnes jusqu’aux rives de Messine :

…. Corse il suo tendardo
Da’piè de’ monti al mamertino lido,


et la légende populaire, plus poétique encore que le poète, raconte que le roi lombard, arrivé à Reggio, à l’extrémité de la Calabre, poussa son cheval dans la mer, et, frappant de sa lance la colonne d’un vieux temple, s’écria : « Voilà la frontière du royaume des Lombards ! » Boccace, dans ses contes, qui sont des récits recueillis çà et là, a mis les rois et les reines de Lombardie. Enfin les Lombards en Italie sont le peuple guerrier et chevaleresque. Ils n’ont pas la même réputation dans notre histoire de France. Accusée par les papes, détruite par notre Charlemagne, la royauté lombarde a la mauvaise renommée que les vainqueurs ont soin en général de faire aux vaincus. Ce n’est pas seulement par leurs prouesses guerrières que les Lombards plaisent à l’imagination de l’Italie ; leurs lois les ont aussi rendus célèbres. Ces batailleurs étaient des législateurs et des jurisconsultes. Au temps de l’empereur Frédéric Barberousse, un poète de sa cour, faisant l’éloge des Lombards, qui n’avaient plus nulle part en Italie ni royaume ni duché, disait d’eux :

Gens astuta, sagax, prudens, industria, solers,
Provida consilio, legum jurisque perita[1].
  1. « Nation habile, sagace, prudente, active, adroite, prévoyante dans le conseil savante dans la science des lois et du droit. »