Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/681

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort portait dans le ciel les âmes des autres martyrs, mais que c’était Dieu lui-même qui recueillait dans son sein les âmes de ceux qui périssaient dans une bataille navale[1].

Un des conquérans et des maîtres de l’Afrique, Mousa, établi à Tunis, à quelques pas de Carthage, fut tenté par la beauté de cette mer qu’on disait autrefois aux Arabes de craindre et d’ignorer. D’ailleurs près de lui Carthage, peu à peu abandonnée, lui parlait par ses ruines des grandeurs de la marine. Les chroniqueurs arabes racontent que Mousa aimait à s’entretenir avec les paysans berbères du pays, et que ceux-ci lui faisaient des récits merveilleux sur les entreprises de Carthage, qu’ils lui parlaient d’Annibal, un grand guerrier et un grand marin qui avait conquis l’Espagne et qui était revenu en Afrique en faisant, les armes à la main, le tour du bassin de la Méditerranée. Ces légendes enflammaient l’imagination du vieux Mousa. Il avait plus de soixante-dix ans ; mais sa vieillesse était verte et son âme était ambitieuse ; il ne sentait de son âge que le besoin de se presser dans ses entreprises. L’histoire des Carthaginois, changée et embellie par les récits populaires, le poussait à en ressusciter la grandeur. Ces Arabes qui, au commencement de l’ère mahométane, ne faisaient dater, pour ainsi dire, que du Coran la création elle-même avaient peu à peu appris l’histoire du monde en le conquérant, et ils voulaient se faire une histoire plus grande encore et plus merveilleuse que celle que leurs vaincus leur racontaient. Mousa voulait posséder le bassin de la Méditerranée, comme on lui disait que l’avaient possédé les Carthaginois, ses devanciers en Afrique. Il fit creuser un canal entre la mer et la lagune qui devait servir de port à Tunis, il fit bâtir un arsenal, il fit construire une flotte de cent vaisseaux, proclama la guerre sacrée sur mer et confia cette flotte à son fils Abdallah (704).

C’est à partir de ce moment que commencent ces incursions maritimes qui, sous le nom des Sarrasins, ont désolé la Méditerranée jusqu’aux croisades, et qui, après les croisades, ont recommencé, sous le nom des Turcs et plus tard des Barbaresques, jusqu’aux premières années du XIXe siècle. Ainsi, pendant onze cents ans, le bassin de la Méditerranée a été livré au pillage et à la déprédation, et l’Europe a supporté ce fléau ou l’a combattu mollement. Plus menacée que le reste de l’Europe, l’Italie a seule lutté avec une énergie supérieure à ses forces.

Si je voulais tracer le tableau du trouble et de la désolation que ces incursions musulmanes répandaient sur les côtes de la Méditerranée et particulièrement de l’Italie, je prendrais volontiers le tableau que Cicéron faisait, dans son discours pro lege Manilia,

  1. Storia dei Musulmani di Sicilia, par M. Amari, t. Ier, p. 80-81.