Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/679

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à apprendre l’arabe. Son Histoire des Musulmans de Sicile est le fruit du noble et laborieux emploi qu’il fit de ses longues journées d’exil. En 1833, l’Académie des inscriptions et belles-lettres avait mis au concours la question des incursions et de la domination des musulmans en Italie[1] ». L’ouvrage de M. Amari procède de cette question, sinon de ce concours ; il a été fait sous les auspices de notre Institut, et mérite, à ce titre comme à beaucoup d’autres, d’attirer l’attention de la France.

Il y a une autre raison qui me pousse à parler avec une très grande estime du livre de M. Amari, c’est que je me permettrai quelquefois de critiquer, non pas les savantes recherches de l’auteur, mais ses jugemens et ses conclusions. Je ne m’étonne pas d’ailleurs de cette différence d’opinions entre M. Amari et moi ; nous ne traitons pas le même sujet. Il fait l’histoire des musulmans en Sicile et il aime ses héros jusqu’à penser parfois que la Sicile eût peut-être gagné à rester soumise à la domination musulmane. La question que j’essaie d’étudier est toute différente : je veux signaler les services que l’Italie a rendus à l’Europe du VIIIe au XIe siècle, avant les croisades, en luttant contre l’invasion des musulmans. Je veux montrer comment l’Italie, non-seulement par sa situation géographique, mais par l’exemple de toute son histoire, soit avant, soit après les croisades, doit avoir une part importante dans la décision de la question d’Orient. Tout l’y appelle : sa conformation géographique, puisqu’elle est une des deux grandes péninsules qui s’avancent vers l’Orient, et que, plus européenne que la péninsule hellénique, elle représente l’Europe en Orient de plus près qu’aucun autre pays ; les souvenirs de Pise, de Gênes, de Venise après les croisades, d’Amalfi, de Sorrente et de Salerne avant les croisades ; l’accord ancien et facile de la papauté et de l’Italie sur la question d’Orient ; les titres de rois de Chypre et de Jérusalem restés dans la maison de Savoie ; la part même, singulière, mais peut-être prédestinée, que le Piémont a prise en 1854 à la guerre d’Orient. Avec ces idées sur le passé et même sur l’avenir de l’Italie en Orient, il est difficile que je ne lui sache pas gré d’avoir voulu rester chrétienne, d’avoir lutté du VIIIe au XIe siècle pour l’indépendance du bassin de la Méditerranée, et du XIIIe au XVIIIe pour la sécurité du commerce européen. C’est une belle gloire que d’avoir servi deux fois de rempart à l’Europe avant et après les croisades, et cela vaut mieux, selon moi, pour l’Italie que les courtes prospérités et l’éclat

  1. Voici le texte de la question proposée par l’Académie : « tracer l’histoire des différentes incursions faites par les Arabes d’Asie et d’Afrique, tant sur le continent de l’Italie que dans les îles qui en dépendent, et celle des établissemens qu’ils y ont formés ; rechercher quelle a été l’influence de ces événemens sur l’état de ces contrées et de leurs habitans.