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leurs marines, leur commerce, leur industrie, et tous ces biens qu’ils s’étaient acquis, ils savaient les défendre en versant leur sang. Pourquoi donc les oublier, ces premiers et ces énergiques représentans de l’indépendance chrétienne, ces perpétuels soldats de la foi et de la liberté italiennes pendant les siècles les plus confus et les plus périlleux de l’histoire ? Pourquoi donc ne pas glorifier ces marchands, ces marins, ces soldats, ces citoyens d’Amalfî, de Sorrente, de Salerne, de Gaëte ? Ils ont sauvé l’Europe de leur côté comme Charles Martel l’a sauvée du sien. Ah ! je sais bien que lorsqu’on voit aujourd’hui Sorrente, Amalfî, Salerne, il y a deux choses qui font qu’on oublie leur héroïsme, leurs ruines d’une part et la beauté de leurs rivages de l’autre. Comment croire, lorsqu’on voit ces villes si petites et si désolées, ces maisons négligées, ces masures délabrées, ces rues qui ne sont que des ruelles de village, ces ports presque abandonnés, Sorrente et Salerne, ou qui ne sont animés que par des barques de pêcheurs ou de touristes, comment croire qu’il y a eu là des populations nombreuses, actives, guerrières, industrieuses, prêtes au travail et au combat ? Comment croire à une marine, à une armée, à un état ? Quoi ! il y a eu, disent les chroniqueurs, plus de cent cinquante mille hommes à Amalfî, dans cette petite ville, dans cette longue et étroite rue qui fait le fond d’une petite vallée descendant à la mer ? Où habitait donc tout ce monde ? Les maisons autrefois grimpaient des deux côtés de la vallée, placées sur les mamelons de la montagne comme mille et une forteresses ; à travers ces maisons, des couvens étaient çà et là dispersés. Il y en a encore quelques-uns debout avec leurs petites chambres autour du cloître, et c’est dans un de ces vieux couvens, arrangé en auberge, que viennent loger les touristes, qui y sont assez médiocrement nourris en souvenir sans doute de la sobriété des anciens moines ; mais ils ont, pour charmer leurs regards, l’immense et étincelant aspect de la mer, et vers la terre le gracieux contraste des montagnes couvertes de verdure. Que de fois, au temps jadis, quand la cloche du vieux couvent sonnait l’alarme pour annoncer une descente des Sarrasins, ou appelait à la prière pour bénir le départ d’une expédition des Amalfitains, on vit descendre des étages de la montagne, à travers mille sentiers, hommes, femmes, enfans, les hommes allant se battre ou s’embarquer, les femmes et les enfans allant prier pour leurs défenseurs ! J’aimais à les voir se grouper sur les degrés du grand escalier qui, de la place publique, monte à l’église placée sur une terrasse de rochers, à mi-côte de la montagne. De là, surveillant le combat ou le départ, ils envoyaient leurs cris de victoire ou d’adieux aux combattans ou aux embarqués. Images du passé, vous ne ressemblez guère aux images