Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/676

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

présenter très rapidement aux lecteurs de la Revue, afin qu’ils puissent avoir une idée du premier choc entre l’Orient musulman et l’Occident chrétien. Nous nous faisons volontiers une grande image de la lutte qui a eu lieu en Espagne entre les Maures et les Visigoths ; nous nous plaisons à célébrer la victoire de Charles Martel sur les Sarrasins à Poitiers, et nous l’appelons le sauveur de la chrétienté. Oui, Charles Martel a sauvé la chrétienté occidentale ; mais il y avait pendant ce temps-là une chrétienté méridionale qui luttait contre les musulmans sur les bords de la Méditerranée, en Italie, en Sicile, en Sardaigne, en Corse, en Provence. Cette lutte a souvent été périlleuse. Les Sarrasins du VIIIe au XIe siècle avaient encore l’ardeur et l’énergie de la foi mahométane dans ses commencemens. L’Italie a donc plusieurs fois failli devenir mahométane, la Sicile l’est devenue, l’Espagne l’a été ; la Provence a eu pendant longtemps à Fraissinet, aujourd’hui Lagarde-Frainet, un établissement de Sarrasins. Il s’en est peu fallu que le bassin de la Méditerranée et que l’Adriatique aussi ne soient devenues un bassin musulman. On peut donc dire sans aucune exagération que la question de savoir si l’Europe méridionale serait musulmane ou resterait chrétienne s’est plusieurs fois débattue du VIIIe au XIe siècle dans le bassin de la Méditerranée, — et si l’Europe a échappé à la domination musulmane, elle le doit peut-être à ces républiques de l’Italie méridionale aujourd’hui sans nom et presque sans histoire, à Amalfi, à Sorrente, à Salerne, à Gaëte, à ces chrétiens de la Sicile vaincus par les musulmans, mais qui tâchaient sans cesse de secouer le joug, à ces moines de couvens sans cesse dévastés qui bravaient le martyre pour affermir les fidèles dans la foi de Jésus-Christ, à ces papes dont quelques-uns n’avaient pas les allures de l’église, mais qui défendaient l’Italie avec une intrépidité guerrière et patriotique appropriée aux dangers du temps. Voilà les premiers combattans et les premiers martyrs de la question d’Orient.

Je croyais d’abord, pour découvrir les commencemens de la question d’Orient en Italie, n’avoir à étudier que les annales de Pise, de Gênes, de Venise et de la papauté ; mais c’est le propre des études sur quelques points de l’histoire d’Italie qu’on s’aperçoit bien vite qu’il n’y a rien d’ancien dans ce pays qui n’ait en arrière quelque chose de plus ancien, et qu’il y a toujours sur chaque sujet deux ou trois antiquités groupées pour ainsi dire l’une sur l’autre. Avant la lutte que Pise, Gênes, Venise et la papauté ont soutenue, après le XIIIe siècle, contre l’Orient musulman, il y a la lutte plus ancienne de l’Italie méridionale, d’Amalfi, de Salerne, de Sorrente, de Naples, de Gaëte, petits états, mais grands courages. Ils avaient leurs lois, leurs gouvernemens, leurs armées,