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les contradictions flagrantes des lois locales, le conflit perpétuel qui s’élève entre la loi de l’état et la loi de l’Union, rendent illusoire l’emploi de la répression légale, et impossible, aux époques troublées, l’usage de cet instrument compliqué. Tout se fait alors par exception. Ni principes, ni mesurés générales, ni régularité dans l’emploi de la force : la société vit d’expédiens, au jour le jour.

Est-ce là notre idéal ? Ne faisons-nous pas une confusion entre la théorie du gouvernement démocratique à l’américaine et la théorie dite constitutionnelle des gouvernemens libres de l’Europe ? Celle-ci veut que les représentans de la nation gouvernent par l’entremise de la loi qu’ils ont faite, et dont l’autorité suprême fait plier un pouvoir exécutif qui n’est qu’un instrument. Que voyons-nous ici ? En face de ces corps électifs qui font les lois se dresse un autre pouvoir, non moins émané du suffrage populaire, non moins autorisé à s’en dire le représentant, dont les fonctions peuvent s’élever jusqu’à l’exercice de la dictature. La république française s’est donné un président élu directement par le peuple. Malgré la fiction des deux degrés, le président des États-Unis est lui-même l’élu immédiat du suffrage populaire. Dans chacun des états, il y a un gouverneur directement élu par le peuple. La constitution des États-Unis donne bien au congrès le pouvoir de déposer le président : mais quand donc a-t-on usé de ce droit terrible ? Ce n’est pas devant le congrès qu’il est responsable, mais devant le peuple, et au jour de l’élection seulement. Les ministres sont de purs agens, responsables envers lui seul, et qui ne peuvent être déposés que par lui. Il y a même des états où le suffrage populaire les désigne en même temps et les investit du même prestige que le magistrat suprême. La démocratie veut avoir dans le pouvoir exécutif un serviteur immédiat, dépendant d’elle seule, un agent révolutionnaire qui puisse au besoin braver les lois. Ce serviteur peut devenir un maître, quand aux instincts de la démocratie ne se joint pas, comme en Amérique, l’usage ancien de la liberté.


ERNEST DUVERGIER DE HAURANNE.