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le point de mire de tous les coups. Il faut qu’il suive le troupeau, ou bien les masses populaires lui passeront sur le corps.

Me voilà bien loin du chemin de fer de Columbus à Pittsburg. Le pays d’Ohio est riant encore malgré la tristesse de l’hiver. Ces cultures, ces villages, ces fermes en grand nombre, ces jolies vallées normandes, plaisent au sortir des grandes plaines de l’ouest. À mesure qu’on avance, le sol s’élève et s’accidente : on se rapproche des Alleghanys. Voici déjà des ravins, un aspect de montagnes, voici enfin l’Ohio, grand et large encore, qui semble n’avoir pas diminué depuis Louisville, et dont la nappe huileuse coule entre deux rangs de hautes collines ; mais la terre est couverte de neige. Les forêts, qui étaient si belles ; il y a un mois, n’ont plus aujourd’hui une feuille ; les arbres ressemblent à des balais. Ici le fleuve se recourbe brusquement vers je nord et nous barre le passage. On construit un chemin de fer qui gagnera Pittsburg en droite ligne à travers la Virginie occidentale, et les piles du pont immense qui franchira la rivière sont déjà debout. En attendant, on suit la vallée ; la voie passe en corniche, tantôt dominée par des côtes abruptes, tantôt rencontrant des collines plus douces où sont accroupis de jolis villages. L’un d’eux, Steubenville, peuplé presque uniquement de colons germaniques, est situé au premier plan de la colline, en face d’un escarpement, à un étroit défilé de la rivière, dans un lieu à la fois riant et agreste. Le ciel était pur, les côtes dépouillées prenaient dans le lointain des teintes violettes et veloutées, la surface dorée de la rivière se moirait encore d’un bleu tendre. Enfin j’étais enchanté de tous les coups d’œil que les dos et les chapeaux de mes voisins me permettaient de jeter au dehors à travers le car encombré.

Le temps est noir, pluvieux, brumeux, digne de Londres. Las cependant des toits et des fumées que je vois de ma fenêtre, je me suis risqué dans la boue. Pittsburg est une des villes les plus originales, non-seulement d’Amérique, mais du monde. Elle à déjà 111,000 habitans, plus de 200,000 avec les faubourgs. Située sur l’emplacement où les Français avaient élevé le fort Duquesne, au confluent des deux grandes rivières Alleghany et Monongahela, dont la réunion forme l’Ohio, elle occupe la langue de terre comprise entre la fourche des deux rivières et une colline couverte de maisons de plaisance. À l’ouest, l’Alleghany, large de 500 mètres, arrive entre deux lignes de coteaux qui s’élargissent un peu vers son embouchure. Au sud, le Monongahela coule entre deux bords escarpés qui se continuent au loin le long de l’Ohio. Cette situation est des plus pittoresques. Ajoutez que Pittsburg est au milieu de la région houillère de la Pensylvanie, qu’il y a des mines, des forges