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les mannequins des missels ; mais, à mesure qu’on avance, on voit la vie pénétrer dans les membres ; Les grandes sibylles blanches sur le pavé noir ont une noblesse et une gravité de déesses. Quantité d’autres têtes frappent par leur caractère grand et ferme. L’artiste ne voit encore dans la créature humaine que la charpente générale ; il n’est pas distrait, comme nous le sommes, par la multitude des nuances, par la connaissance des infinies inflexions de l’âme et des innombrables ; brisures de la physionomie. À cause de cela, il peut faire des créatures qui par leur calme semblent supérieures aux agitations de la vie. C’est une âme primitive qui fait des âmes primitives. Au temps de Raphaël, cet art est complet, et le plus grand de ces nielleurs sur pierre, Beccafumi, a couvert de ses dessins les environs du maître-autel et le parvis de la coupole. Son Eve demi-nue, ses Israélites massacrés pour avoir épousé des Madianites, son Abraham sacrificateur, sont de superbes figures, d’une conception toute païenne, souvent avec des torses et des poses à la Michel-Ange, et encore simples. Ce n’est qu’en ce temps-là qu’on a su faire des corps[1].

Le grand homme lui-même a travaillé ici : on lui attribue une admirable petite chapelle où les figurines s’étagent, dans des nefs à coquilles, parmi de fines arabesques qui serpentent sur le marbre blanc. Ses prédécesseurs, les plus glorieux restaurateurs de l’art, l’accompagnent : au-dessous de l’autel, dans une chapelle basse, un saint Jean de Donatello, de vigoureuses figures au col tordu, aux muscles noueux, impriment dans l’esprit leur énergie et leur jeunesse. À voir ce pavé, ces murs, ces autels ainsi remplis et chargés, ces files de figures et de têtes qui montent sur les efflorescences des chapiteaux, qui s’alignent sur les frises, qui couvrent tout le champ de la vue, il est visible que les arts du dessin sont le langage spontané de cette époque, que les hommes le parlent sans effort, qu’il est le moule naturel de leur pensée, que cette pensée et cette imagination, fécondes pour la première fois, pullulent au dehors avec un enfantement inépuisable de formes, qu’elles sont comme des adolescens dont la langue se dénoue, et qui parlent trop parce qu’ils n’ont pas encore parlé.

Trop de choses belles ou curieuses, c’est un mot qui revient ici : par exemple la Libraria attenant à la cathédrale, bâtie à la fin du XVe siècle. Là sont dix fresques du Pinturicchio, l’histoire de Pie II, plusieurs figures de femmes bien chastes et bien élégantes ; mais l’œuvre est encore littérale, et sèche. Le peintre garde les costumes du temps : il représente l’empereur en robe dorée avec le

  1. Voyez ses cartons à l’Institut des Beaux-Arts de Sienne.