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violent, comme si l’allégresse innée au génie italien et l’essor précoce de la culture laïque avaient tempéré la sublime folie du moyen-âge et gardaient à l’âme un espoir sur la terre en lui laissant son issue vers le ciel. À quoi bon les règles ? et comme les barrières d’écoles sont peu de chose ! Voilà des hommes qui avaient un pied dans la renaissance et un pied dans le moyen-âge, tiraillés des deux côtés, en sorte que leur œuvre ne pouvait manquer d’avorter et de se contredire. Elle n’avorte pas, et ses contradictions s’harmonisent. C’est que dans leur cœur ces deux sentimens vivaient énergiques et sincères ; cela suffit pour bien faire : la vie produit la vie.

On entre ; le même mariage d’idées reparaît dans tous les détails. Aux deux côtés de la porte, ils ont posé debout deux admirables colonnes corinthiennes ; mais ils se sont approprié la forme grecque en revêtant le fût d’une profusion de figurines nues, d’hippogriffes, d’oiseaux, de feuilles d’acanthes qui s’entrelacent en serpentant jusqu’au sommet. — Trois pas plus loin sont deux bénitiers charmans, — deux petites colonnes ornées de raisins, de figures, de guirlandes, portant chacune au sommet une coupe de marbre blanc. L’une est antique, dit-on ; l’autre doit être du commencement du XVe siècle. Les têtes et les torsions des figurines rappellent Albert Durer, les pieds et les genoux sont un peu saillans, ce sont des femmes nues les mains liées derrière le dos ; l’artiste, pour atteindre au mouvement vrai, ne craint pas de gâter un peu le sein. Ainsi se développe de Nicolas de Pise à Jacopo della Quercia toute une sculpture, art formé, déjà complet comme un enfant sain et vivant qui s’agite dans sa gaîne catholique.

Enfin voici cette célèbre chaire de Nicolas de Pise, le rénovateur de la sculpture[1]. Quoi de plus précieux que ces premières œuvres de la pensée moderne ? Ce sont là nos vrais ancêtres, et l’on veut savoir de quelle façon à cette aurore ils ont compris l’homme que nous continuons aujourd’hui ; car lorsqu’un artiste invente un type, c’est comme s’il exprimait avec des chairs et des os son idée de la nature humaine, et, cette idée une fois populaire, tout le reste suit, — Je n’ai pas de paroles pour dire l’originalité et l’abondance de l’invention qui éclatent dans cette chaire ; elle est étrange autant que belle. Les piédestaux sont des lionnes qui tiennent chacune un agneau dans leur gueule ou que leurs petits tettent : on reconnaît le fond symbolique et bizarre du moyen-âge ; mais du corps de ces lionnes partent huit petites colonnes blanches et pures qui s’épanouissent en un riche bouquet de fleurons du goût le plus neuf, et qui se rejoignent par dès trèfles portant ensemble une sorte d’arche

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