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est toujours maître de Naples ; mais à la moindre secousse le gouvernement tombe par terre, et celui-ci court les mêmes risques que ses prédécesseurs. Il vient de faire une sottise grave en livrant les couvens aux haines municipales ; il chasse de pauvres diables de moines, des religieuses, ce qui fait scandale et provoque des ressentimens comme en Vendée. Or la religion n’est pas ici abstraite, rationnelle comme en France, elle est fondée sur l’imagination, et d’autant plus vive et vivace ; infailliblement elle se retournera un jour contre le libéralisme et le Piémont. D’ailleurs l’unité de ce pays est contre nature ; par sa géographie, ses races, son passé, l’Italie est divisée en trois morceaux, elle peut tout au plus faire une fédération. Si elle se tient ensemble aujourd’hui, c’est par une force artificielle, et parce que la France fait sentinelle sur les Alpes contre l’Autriche. Vienne une guerre sur le Rhin, l’empereur ne s’amusera pas à diviser ses forces, et l’Italie alors se cassera en ses morceaux naturels.

Je réponds qu’ici la révolution n’est pas une affaire de races, mais d’intérêts et d’idées. Elle a commencé à la fin du siècle dernier, avec Beccaria par exemple, par la propagation de la littérature et de la philosophie françaises. C’est la classe moyenne, ce sont les gens éclairés qui la propagent, traînant le peuple après eux, comme jadis aux États-Unis pendant la guerre de l’indépendance. Il y a là une force nouvelle, supérieure aux antipathies provinciales, inconnue il y a cent ans, située non dans les nerfs, le sang et les habitudes, mais dans la cervelle, les lectures et le raisonnement, d’une grandeur énorme, puisqu’elle a fait la révolution d’Amérique et la dévolution française, d’une grandeur croissante, puisque les découvertes incessantes de l’esprit humain et les améliorations multipliées de la condition humaine contribuent chaque jour à l’augmenter. Suffira-t-elle à soutenir l’Italie ? C’est une question de mécanique morale, et nous ne pouvons la résoudre faute de moyens pour comparer la puissance du levier et la résistance du poids. En attendant, regardons les petits faits qui nous entourent, c’est la seule façon d’arriver à quelque évaluation approximative des forces que nous voyons, mais que nous ne mesurons pas.

Sur la route passent des conscrits en veste grise, des soldats en uniforme, parfois de jolis officiers en costume bleu, l’air élégant et brillant. Chaque petite ville a sa garde nationale : l’on voit ces gardes sur un banc de pierre, au soleil, à l’entrée de la mairie ; les rues portent les noms de Victor-Emmanuel, de Garibaldi, de Solferino. Les gens s’enivrent de leur indépendance nouvelle et parlent d’eux-mêmes avec une gloriole emphatique. Un Romain qui va en Suisse me dit : « Nous avons quatre cent mille soldats, six cent mille gardes nationaux ; dans deux ans, l’Italie sera faite, et nous