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terrain pour se bâtir une maison dans la cité du réformateur. Tout d’un coup la scène change : Savonarole est brûlé vif, et il semble à ses disciples que la Providence, la justice et la puissance divine se soient englouties dans son tombeau. Plusieurs d’entre eux ont gardé jusqu’au bout dans leur mémoire, toute corporelle et toute colorée, l’image du martyr trahi, torturé et insulté sur son bûcher par ceux dont il faisait le salut. Est-ce cette grande secousse, jointe aux enseignemens épicuriens de Florence, qui a renversé les croyances du Pérugin ? Toujours est-il qu’au retour il n’est plus le même. Sa figure, ironiquement défiante, porte les marques de la concentration et de l’affaissement. Ses œuvres religieuses sont moins pures ; il finit par les expédier à la douzaine, en fabricant ; on va bientôt l’accuser de ne plus se soucier que de l’argent[1]. Il entame dans le Cambio des sujets païens et prend, pour les traiter, le style des orfèvres et des anatomistes de Florence. Il peint ailleurs des nudités allégoriques[2], l’Amour et la Chasteté, maigrement et froidement, en libertin tardif qui se dédommage mal des sévérités de sa jeunesse. Il semble être devenu un simple athée, aigri et endurci, comme tous ceux qui nient haineusement et railleusement, à force de déceptions et de chagrin. « Il ne put jamais, dit Vasari, se forcer à croire à l’immortalité de l’âme. Sa cervelle de fer ne put être amenée aux bonnes pratiques ; il mettait toute son espérance dans les biens de la fortune. » Et un annotateur contemporain ajoute : « Étant sur le point de mourir, on lui dit qu’il était nécessaire de se confesser. Il répondit : « Je veux voir comment sera là-bas Une âme qui ne se sera pas confessée. » Et toujours il refusa de faire autrement. » Une telle fin après une telle vie ne montre-t-elle pas comment l’âge de saint François devient l’âge d’Alexandre VI ?

D’autres ont été plus heureux, Raphaël par exemple. C’est ici, dans cet atelier, devant ces paysages, qu’il s’est formé, et bien des fois ici j’ai pensé à son pur et heureux génie, à ses paisibles paysages bien ouverts, à la netteté un peu sèche, à la simplicité exquise de ses premières œuvres. Ce ciel est d’une pureté parfaite ; l’air léger, transparent, laisse apercevoir à une lieue de là les formes fines des arbres. A cent pas de San-Pietro, une esplanade plantée de chênes-verts avance comme un promontoire ; au-dessous s’étale la campagne, vaste jardin parsemé d’arbres, où les feuillages des oliviers font des raies pâles sur la verdure des moissons nouvelles. La magnifique coupole bleue resplendit, peuplée par ce soleil, et les rayons jouent à plaisir dans ce grand cirque,

  1. Vasari.
  2. Musée du Louvre.