Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/592

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

le corps est beau, la santé entière ; un jeune saint Sébastien, en bottes vertes et dorées, une bonne jeune Vierge presque flamande et grasse, vingt autres personnages du Pérugin, sont exempts du régime ascétique ; mais les jambes grêles et l’œil inerte annoncent qu’ils vivent encore dans le bois dormant. Moment singulier, le même chez le Pérugin et chez Van Dyck : les corps appartiennent à la renaissance, et les âmes au moyen-âge.

Cela est encore plus visible au Cambio, sorte de bourse ou de guildhall des marchands. Il fut chargé de le décorer en l’an 1500, et il y mit une Transfiguration, une Adoration des Bergers, les sibylles, les prophètes, Léonidas, Pittacus, Coclès, Socrate et autres héros ou philosophes païens, un saint Jean sur l’autel, Mars et Jupiter sur la voûte. Tout à côté, ou trouve une chapelle lambrissée de bois sculpté, dorée et peinte, le Père éternel au centre, diverses arabesques nues, d’élégantes femmes à croupes de lion. Peut-on mieux voir le confluent de deux âges, le mélange des idées, l’affleurement du paganisme nouveau à travers le christianisme vieillissant ? Les marchands en longue robe s’assemblaient sur les bancs de bois de cette salle étroite ; avant de délibérer, ils allaient s’agenouiller dans la petite chapelle voisine pour entendre une messe. — Là, Gian Nicola Manni, aux deux côtés du maître-autel, a peint les fières et délicates figures de son Annonciation, une ample Hérodiade, de charmantes femmes debout, gracieuses et fines, qui font sentir l’élan ou la richesse de la vitalité corporelle. Tout en suivant le bourdonnement des répons ou les gestes sacrés de l’officiant, plus d’un fidèle a laissé ses yeux remonter jusqu’au torse rose des petites chimères accroupies dans le plafond ; elles sont, à ce qu’on dit dans la ville, d’un jeune homme qui donne de belles espérances, élève favori du maître, Raphaël Sanzio d’Urbin. — L’office est fini, on rentre dans la salle du conseil, et on raisonne, je suppose, sur le paiement des trois cent cinquante écus d’or promis au Pérugin pour son travail ; ce n’est point trop, il y a mis sept ans, et ils comprennent par sympathie, par ressemblance d’esprit, les deux faces de son talent, l’ancienne et la nouvelle, l’une chrétienne, l’autre demi-païenne.

Voici d’abord une Nativité, sous un haut portique, avec un paysage, d’arbres légers, comme il les aime. C’est un tableau aéré et recueilli, propre à faire sentir la vie contemplative. On ne peut trop louer la gravité modeste, la noblesse silencieuse de la Vierge, agenouillée devant son enfant. Trois grands anges sérieux sur un nuage chantent d’après un cahier de musique, et cette naïveté reporte l’esprit jusqu’au temps des mystères ; mais on n’a qu’à tourner les yeux pour voir des figures d’un caractère tout autre. Le maître est allé à Florence, et les statues antiques, leurs nudités, les grands gestes et les fières cambrures des figurines nouvelles lui ont dévoilé