Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/588

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

éclair. — Ailleurs elles relèvent leur châle sur leur tête, et se trouvent toutes drapées pour un peintre. — Nous croisons une charrette qui porte huit paysans entassés ; ils chantent en parties un air noble et grave comme un choral. — Les moindres objets, une forme de tête, un vêtement, les physionomies de cinq ou six jeunes gens qui dans une auberge de village disent des douceurs à une jolie fille, tout indique un monde nouveau et une race distincte. A mon avis, le trait marquant qui les distingue, c’est que pompeux la beauté idéale et le bonheur sensible sont la même chose.

La route monte, et la voiture avance lentement avec des chevaux de renfort sur les escarpemens de la montagne. Un torrent serpente ou dégringole, maigre et étouffé, sous la large grève de cailloux qu’il a roulés pendant l’hiver. Les ossemens blancs de la montagne percent à travers le manteau roux de forêts dépouillées : je n’ai pas vu de montagnes plus travaillées de soulèvemens ; parfois les couches redressées sont debout comme une muraille. Toute cette charpente minérale a été concassée et semble disloquée, tant chaque assise a de fentes et de crevasses. Au sommet, des plaques de neige marbrent le tapis des feuilles tombées. Le vent du nord souffle froid et triste ; le contraste est étrange quand on regarde la gloire du ciel, où le soleil luit dans sa force, et les délicieux azurs dans lesquels se perdent les teintes du lointain. L’Apennin est franchi, et les collines modérées, les riches plaines bien encadrées commencent à se déployer et à s’ordonner comme sur l’autre versant. Terni, en tas sur une montagne, sorte de môle arrondi, est un ornement du paysage, comme on en trouve dans les tableaux de Poussin et de Claude. C’est l’Apennin, avec ses bandes de contreforts allongés dans une péninsule étroite, qui donne à tout le paysage italien son caractère ; point de longs fleuves ni de grandes plaines : des vallées limitées, de nobles formes, beaucoup de roc et beaucoup de soleil, les alimens et les sensations correspondantes, et combien de traits de l’individu et de, l’histoire imprimés par ce caractère !


Pérouse, 3 avril.

C’est une vieille ville du moyen âge, ville de défense et de refuge posée sur un plateau escarpé, d’où toute la vallée se découvre. Des portions de mur sont antiques, plusieurs fondations de portes sont étrusques, l’âge féodal y a mis ses tours et ses bastions. La plupart des rues sont en pente, et des passages voûtés y font des défilés sombres. Souvent une maison enjambe la rue, et le premier étage va se continuer dans celui qui fait face. De grandes murailles de briques roussies, sans fenêtres, semblent des restes de forteresse.

Vingt débris y mettent devant l’imagination la cité féodale et républicaine : la noire porte San-Agostino, énorme donjon de pierres