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sur la scène du Vaudeville, et destinée à une longue suite de soirées brillantes; il faut bien reconnaître pourtant que là encore, malgré tant de verre, de saillies, d’aventures bouffonnes, de péripéties émouvantes, l’inspiration première de la pièce est singulièrement préférable à la mise en œuvre. L’auteur de la Famille Benoiton a pris son sujet dans le vif des mœurs du jour. Que devient la famille au milieu de ce tourbillon qui entraîne autour de nous tant d’existences fiévreuses? Dans cette course haletante vers la fortune, à travers ces préoccupations, ces combinaisons, qui ne cessent ni le jour ni la nuit, que deviennent les conditions naturelles d’une maison bien réglée? Ajoutez le fléau du luxe au fléau des spéculations; la vanité trouve son compte à ce joli sophisme qui veut que les folles dépenses du boudoir soutiennent le crédit du spéculateur. Et tandis que la femme s’acquitte de ce devoir avec un zèle acharné, ne faut-il pas que le mari se jette à corps perdu en de nouvelles entreprises afin de soutenir à son tour ce singulier auxiliaire? C’est ainsi qu’ils s’entrainent l’un l’autre, courant au précipice, à la ruine, à la honte. Le sujet est immense, il présente mille aspects divers; la première pensée de M. Sardou, pensée excellente à laquelle il a eu tort de ne pas se borner, a été de le circonscrire et de se demander simplement dans cette situation, que devient la famille? Le père est à la Bourse, la mère étale ses toilettes de salon en salon; que deviennent les enfans? S’il y a là des filles, on les verra donner l’exemple des folies les plus sottes; accoutumées à entendre juger toutes choses au point de vue de l’argent ou bien au point de vue de la toilette, elles rivaliseront de sécheresse et d’extravagance. Sur cette pente, on va loin. Leurs modèles, ce seront bientôt les courtisanes en renom; quel bonheur d’imiter leurs allures! Honnêtes à leur manière, incapables de faillir, non par vertu mais par calcul, elles déshonorent le foyer domestique par leur costume et leur langage. Et les fils, comme ils se moquent de ce père qu’ils connaissent à peine, de cette mère qu’ils ne voient jamais! Ces mots de père et de mère n’ont même plus de signification pour eux; dites plutôt des associés qu’on exploite et qu’on trompe. Bienheureuse encore cette famille, si le déshonneur n’y entre pas à la suite de la folie, et si la comédie ne se termine point par quelque drame lugubre Telles sont les idées qui ont saisi M. Victorien Sardou, et en réponse à ces demandes qu’il s’adressait il a écrit la Famille Benoiton.

L’idée est excellente; comment l’a-t-il traitée? M. Benoiton est une ganache, un Cassandre, une véritable caricature. Mme Benoiton, un des personnages les plus amusans de la pièce, bien qu’elle n’y paraisse pas, est toujours sortie, toujours en courses ou en visites. Vers la fin, comme on annonce qu’elle vient de rentrer, après toute sorte d’événemens arrivés dans sa maison et dont le moindre exigeait sa présence cc Ah! dit une des personnes qui se trouvent là, je serai bien aise de faire connaissance avec Mme Benoiton. Et moi aussi, » ajoute le mari de la dame. Ce Cassandre de Benoiton, cette Mme Benoiton perpétuellement absente, étaient-ce