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REVUE DRAMATIQUE.

LES PARASITES. — LA FAMILLE BENOITON. — CARMOSINE.

Si les intentions morales suffisaient pour relever parmi nous la littérature dramatique, les commencemens de la nouvelle année théâtrale pourraient être signalés comme une promesse. Les œuvres dont nous avons à parler indiquent assez généralement le désir d’échapper enfin aux peintures équivoques et de nous ramener au milieu de la société, en face de la vie humaine, loin des choses ténébreuses qu’on doit laisser dans l’ombre. Il est vrai que par respect de nos lecteurs nous sommes obligé de faire un choix. Le public de plus en plus mélangé des théâtres réclame des divertissemens de toute sorte, et il faut bien que ses appétits trouvent à se satisfaire. Sur les scènes qui n’ont en vue que le plaisir grossier, qui ne flattent que les instincts vulgaires, l’invention, l’esprit, la langue, tout est de même valeur. Voltaire se plaignait déjà du trop grand nombre des théâtres et de l’avilissement de ces nobles jeux sur les tréteaux infimes; qu’en penserait-il aujourd’hui? Il penserait qu’il y a des nécessités inévitables, qu’il faut faire la part de tous les besoins, et, réservant son attention aux ouvrages qui s’adressent à l’esprit, il répondrait aux autres, comme le jurisconsulte du VIe siècle : Nihil hic ad edictum prœtoris. Ce n’est pas certes qu’il faille absolument dédaigner les zones inférieures; le cadre ne fait pas le tableau l’esprit souffle où il veut, et une inspiration heureuse peut se révéler au moment où l’on y comptait le moins, Il faut bien espérer d’ailleurs que notre démocratie, à mesure qu’elle s’élèvera par le sentiment du devoir et de la dignité humaine, deviendra plus exigeante pour ceux qui ont la prétention de l’amuser. En cela comme en toutes choses, le progrès suivra sa voie, j’en ai la ferme confiance. Ce serait pourtant mal servir cette grande cause que de se payer d’illusions, et le plus sûr moyen de préparer des jours meilleurs, n’est-ce pas d’accoutumer le public à une juste sévérité? Voilà pourquoi, dans ces revues de la littérature dramatique, nous nous bornons aux ouvrages qui, par l’intention ou le talent, méritent les regards de la critique. C’est précisément parmi les pièces de cet ordre qu’un certain symptôme de moralité nous a paru digne d’être mis en lumière.

L’Odéon a inauguré sa campagne par un drame en cinq actes qui renferme une idée, ou du moins une intention assez heureuse. Peindre les êtres sans dignité comme sans courage qui essaient de vivre aux dépens des autres, démasquer les sentimens pervers qui cherchent à s’ennoblir du titre de passion, mettre à nu l’égoïsme qui se pare du nom d’amour, prouver à la lâcheté morale que ses emportemens et ses violences ne donne-