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preuve, et elle sera concluante. Les deux opinions que nous avons indiquées articulent des affirmations contraires sur la forme de propriété à laquelle se prête le génie arabe. L’Arabe est traditionnellement communiste, disent les uns ; il connaît et apprécie la propriété personnelle, disent les autres. Il y a tant d’incertitude encore à cet égard que les traces en sont visibles dans les écrits mêmes de l’empereur. Nous avons lu très attentivement les deux éditions de la brochure impériale, et nous n’avons pas pu n’être point frappés des différences importantes qui distinguent la première rédaction de l’édition révisée. « Les Arabes, dit la première édition, ont vécu jusqu’ici dans cette espèce de communauté territoriale qui est la loi des peuples de l’Orient ; ils n’ont qu’une notion imparfaite du droit individuel et de la propriété. » La seconde édition corrige radicalement cette assertion. « Les Arabes, dit-elle, ainsi qu’on est porté à le croire, n’ont pas vécu jusqu’ici dans cette espèce de communauté territoriale qui est la loi des peuples de l’Orient ; ils ont une notion assez exacte du droit individuel et de la propriété territoriale. » Nous préférons, quant à nous, la seconde opinion à la première, et nous y voyons un motif d’espérer que l’on travaillera à la constitution de la propriété indigène par le procédé individuel plutôt que par le procédé collectif, communiste et aristocratique ; mais, puisque de pareilles fluctuations ont pu se trahir dans la pensée de l’empereur, ne voit-on pas combien il serait utile et urgent que tous les points de ce grave sujet fussent vérifiés par d’abondantes discussions ?

Tels sont les regrets et les vœux que nous formions en voyant cet appel intelligent et remarquable, mais à notre avis bien incomplet encore, que l’empereur vient de faire aux manifestations de l’opinion publique. On nous pardonnera, si nous disons que nous avons été confirmés dans nos désirs de libre publicité et de discussion libre par la lecture des beaux discours prononcés récemment à Glasgow par M. Gladstone. La première des éloquentes harangues de cet homme d’état, sur lequel vont être plus que jamais fixés les regards du monde, a été adressée à la députation d’une association pour la réforme parlementaire, députation qui représentait surtout les classes ouvrières. Sait-on le langage que M. Gladstone a tenu à ces délégués qui venaient de lui présenter une adresse ? « Je suis heureux, leur a-t-il dit, que vous ayez exprimé avec une franchise virile, spontanée, explicite, les sentimens que vous nourrissez sur des objets d’un grand intérêt public. C’est par cette manifestation franche des opinions, en ne gardant aucune fausse réserve, en n’étouffant point silencieusement nos griefs dans nos poitrines, en produisant au grand jour à la fois nos sujets de satisfaction, nos désirs d’amélioration et au besoin nos motifs de plainte, que nous autres, dans cet heureux pays, nous faisons pour ainsi dire un fonds commun de nos idées et de nos sentimens publics, et que nous posons les bases sur lesquelles ceux qui nous représentent et ceux qui conseillent la couronne peuvent s’établir avec confiance