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prudens, et du nombre était ce vieux Gaulois casanier qui vient de mourir l’autre jour, M. Dupin, avaient beau prêcher l’occupation restreinte : l’intérêt de la sécurité des points principaux qu’il fallait posséder nous contraignait à soumettre tout le pays. Tandis qu’on obéissait ainsi à l’inspiration nationale et à la force des choses, les circonspects grommelaient. Qu’est-ce que l’Algérie ? demandait-on un jour dans une réunion où se trouvaient M. Thiers, M. Guizot et le duc de Broglie. — C’est une école de guerre pour notre armée, disait M. Thiers. — C’est une école de persévérance pour le pays, disait M. Guizot. — De toute façon c’est donc une école ? disait avec son spirituel et impitoyable bon sens le vénérable duc de Broglie.

L’événement a donné raison à M. Thiers, le monde connaît aujourd’hui les soldats que l’Algérie nous a faits ; il a donné raison à M. Guizot, jamais la France n’a montré une telle persévérance ; mais n’est-il pas étrange et cruel qu’après dix-huit années de domination établie en Algérie ce soit encore une question de savoir, la brochure de l’empereur en fait foi, si l’événement final donnera tort ou raison au duc de Broglie ? Que l’on ne sût pas trop ce qu’on ferait de l’Algérie tandis qu’on était occupé à s’en emparer, on le comprend aisément. On ne connaissait pas encore le pays et ses populations nomades et mobiles. On était obligé d’étudier en combattant. Jl fallait tout subordonner aux nécessités de la guerre. Mais ce qui sera pour l’histoire un sujet de surprise, c’est la stérilité qui a marqué la seconde période, la période pacifique et tranquille de notre entreprise. Dix-huit ans après avoir soumis l’Algérie, nous n’y avons, en face de deux millions et demi d’indigènes, que cent quatre-vingt-douze mille Européens, dont cent douze mille Français. Ces chiffres sont tristement éloquens. Ce n’est pas tout : des questions fondamentales, touchant au partage de la propriété entre la population indigène d’une part, le domaine public et la colonisation européenne de l’autre, — aux délimitations de la colonisation, au système économique et efficace de notre occupation militaire, — demeurent indécises, et c’est à ces questions mêmes que le programme impérial vient apporter des solutions. L’Algérie a-t-elle donc été délaissée pendant cet intervalle ? On ne saurait le dire. L’empereur nous apprend que quinze systèmes d’organisation ont été essayés dans notre colonie. On avait pu craindre, sur une phrase d’une lettre adressée autrefois par l’empereur à lord Palmerston, que l’entreprise algérienne ne sourît peu au chef de l’état ; mais des faits significatifs démentirent promptement et heureusement cette impression. L’empereur montra bien qu’il couvrait l’Algérie de sa haute sollicitude lorsqu’il confia cette colonie à un ministère spécial et mit à la tête de ce département le prince Napoléon. L’expérience du ministère spécial et l’essai des idées du prince Napoléon ne réussirent point. L’Algérie fut confiée au gouvernement du maréchal Pélissier, et l’empereur traça le programme d’une politique nouvelle dans une lettre fameuse dont les principes inspirèrent le sénatus-consulte de 1863. Il paraît que la lettre et le sénatus-consulte n’avaient produit jusqu’à