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parce qu’il est trop rapproché du Mont-Cenis et qu’il n’a pas, à proprement parler, une zone qui lui appartienne. Le Saint-Gothard et le Lukmanier sont restés seuls en présence, et il a pu paraître à une certaine époque que le choix demeurait incertain entre eux. Sous le rapport des difficultés d’exécution et des frais d’établissement, ils ne diffèrent pas beaucoup; mais là se borne la ressemblance. S’ils ont tous les deux l’avantage de relier le canton du Tessin au reste de la confédération, ils le font dans des conditions très inégales, et l’on ne saurait mettre sur la même ligne les services que l’un et l’autre peuvent. rendre au commerce international. C’est au Saint-Gothard qu’est assurée sans contredit la clientèle la plus riche et la plus considérable. Zurich représente assez bien le centre des directions divergentes que doivent prendre les voyageurs et les marchandises au sortir de chacun des deux passages or de Zurich à Bellinzona le trajet par le Saint-Gothard est plus court de 65 kilomètres que le trajet par le Lukmanier. En raison de cette différence, le Lukmanier, si l’on en croit les calculs des ingénieurs, grèverait annuellement le commerce de l’Europe centrale d’une dépense de plus de 2,500,000 francs[1]. Combien d’intérêts peuvent être lésés, combien de relations peuvent être étouffées par cette différence de tarif! On a vu que le transport des houilles, des fers, des cotons de l’Europe centrale, peut être assuré à la ligne alpestre, et l’on sait qu’il suffit souvent de développer une des branches de l’industrie humaine pour vivifier un grand nombre d’autres industries et répandre l’activité dans des populations entières; mais un allongement dans le tracé du chemin compromettrait ces précieux avantages.

La solution se dessine donc avec netteté; il importe dès lors que nous nous rendions compte du capital nécessaire pour l’exécution de la ligne du Saint-Gothard et que nous estimions les facilités qui pourront se rencontrer pour la formation de ce capital. La ligne comprend trois parties la section alpestre proprement dite, de Fluelen à Biasca; le réseau qui la relie aux chemins suisses aboutissant à Lucerne et à Zug; enfin le réseau tessinois, qui se raccorde avec les chemins italiens. Ce dernier réseau a été concédé à une compagnie anglaise sous la condition que l’état pourrait le racheter pour favoriser l’exécution d’une ligne alpestre. Le capital nécessaire pour l’établissement des trois sections s’élève à 193 millions

  1. Le revenu probable de la ligne du Saint-Gothard est estimé par année et par kilomètre à 48,000 fr., dont 9,000 pour le trafic propre de la ligne et 39,000 pour le transit. Les 65 kilomètres additionnels du Lukmanier constitueraient donc pour ce transit une dépense supplémentaire de 65 X 39,000, soit 2,535,000 fr.