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rencontrer la civilisation et la lumière; mais par-devant les juges les plus délicats, sa vanité lui inspirant le désir des triomphes personnels, il négligeait les soins de son propre gouvernement, qui eussent fait naître sous ses pas, au grand profit de ses sujets, les heureux résultats qu’il allait demander au loin. Épris de philosophie et de libéralisme, il fit quelque chose, à la vérité, pour la liberté des cultes, mais au nom d’une entière indifférence religieuse. Il prit frayeur aux approches de la révolution, et ne craignit pas d’accomplir deux coups d’état. Il empruntait du XVIIIe siècle son ardeur généreuse, ses intelligens désirs, son louable idéal; mais il avait en commun avec l’époque même où il régna la faiblesse morale. Jamais on ne vit plus ouvertement que dans ces dernières années le courant du siècle l’emporter sur les caractères. Nul ne se montra alors assez fort pour dominer son temps en lui opposant une énergique vertu. En France, il est vrai, une mâle génération avait mis son patriotisme et son dévouement au service du grand mouvement de 1789; mais le flot l’avait bientôt emportée, on sait vers quel naufrage, ou du moins vers quelle lutte engagée dans toute l’Europe entre le despotisme, suivi de la réaction aveugle, et l’anarchie civile, accompagnée du désordre moral. La mort de Gustave III, amenée par la coalition des rancunes nobiliaires avec le ressentiment démocratique contre un roi à la fois ennemi de l’aristocratie et de la révolution française, semble avoir ouvert la série des grands coups que le déchaînement révolutionnaire allait frapper. Elle fut accueillie avec des cris de triomphe par la démagogie française, et Prud’homme, dans ses Révolutions de Paris, prodigua les éloges à « Brutus-Anckarström. » Gustave n’avait pas encore rendu le dernier soupir que la nouvelle de la mort de l’empereur Léopold arrivait à Stockholm avec une dépêche du prince Kaunitz qui semblait autoriser des soupçons d’empoisonnement. La propagande, comme on disait en Europe, allait-elle sacrifier ainsi tous les souverains? La pensée s’en répandit, et M. de Gaussen écrit tristement; « On m’a assailli de questions et de raisonnemens tous plus désagréables les uns que les autres. » Ce qu’on pouvait. du moins prédire, c’était la fin sanglante réservée aux principaux personnages qu’on a vus figurer dans cette histoire. La mort de Gustave III précède d’une année seulement celle de Louis XVI et de Marie-Antoinette. Encore quelques années, et les fermens que la contagion des passions démagogiques laisse après elle vont multiplier en Suède les scènes de désordre et de violence. Le malheureux fils de Gustave III, fuyant à travers les escaliers et les cours de son palais, sera pris corps à corps par un de ses officiers, détrôné et jeté dans l’exil; Fersen, le beau