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opposer non plus, sauf quelques intervalles, qu’une apparente indifférence. Quant aux frères du roi, le duc Charles, auquel cependant il laissait la régence, lui inspirait à bon droit des craintes, et le duc Frédéric, qui jadis avait pris parti pour la reine-mère, s’était compromis jusque dans la conspiration d’Anjala. Gustave devait donc trembler pour l’avenir de son jeune fils, entouré d’ennemis. À ces cruelles inquiétudes, son favori Armfelt, qui voulait se rendre nécessaire, ajoutait de nouvelles terreurs en dénonçant chaque jour de prétendus complots. Désespéré, Gustave s’écria un jour « Qu’on me porte sur une civière! J’irai sur la place publique, je parlerai au peuple. Allez, et, comme un autre Antoine, montrez les vêtemens ensanglantés de César pour anéantir ses ennemis! » C’était un moment d’exaltation ou de délire, laissant place une fois encore au langage pompeux et aux souvenirs classiques dont Gustave III avait, dans le cours de sa vie, si souvent fait usage. On a voulu cependant y voir autre chose. Gustave prétendait réellement, assure-t-on, se faire porter sur un balcon du château, — le jour et l’heure étaient déjà fixés, dit un contemporain, — et montrer de là, comme César, sa robe sanglante. Un orateur placé à côté de lui, Armfelt ou quelque autre, haranguerait la foule; le roi lui-même adresserait ensuite quelques mots à son peuple fidèle, lequel, dûment préparé, échauffé, puis conduit par des agens habiles, serait lancé au massacre des nobles suspects dont on aurait à l’avance dressé la liste une courte terreur au nom et au profit de la royauté! On rapproche de cette tradition le rapport du dernier médecin Dalberg, appelé vingt-quatre heures seulement avant la mort du roi. Depuis le 25 mars, l’état du blessé, qui semblait jusque-là. en voie de rapide et sûre guérison, avait empiré tout à coup. Dalberg n’hésitait pas à soupçonner quelque lâche attentat commis au lit du malade, sans doute à l’instigation de ceux-là mêmes qui se seraient crus menacés par les bruits d’émeute et de proscriptions royalistes. — Vaines rumeurs, que dément le caractère de Gustave, et qui prouvent seulement, si elles furent un moment accueillies, combien. le champ était ouvert aux inventions de la malveillance ou de la peur.

Ainsi se terminait dans une morne tristesse une des carrières les plus brillantes et à la fois les plus agitées du XVIIIe siècle. Un haut essor interrompu par un vol inégal, de lointaines visées incomplètement poursuivies, des momens de succès et de gloire, puis la déception et le malheur, tel est le résumé du règne de Gustave III. Paré de certains dons, il en compromettait les avantages par un défaut d’application, de suite et de patiente volonté qui paralysait ses meilleures tentatives. Un perpétuel mirage l’attirait là où il croyait