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gence, il appartient de gouverner le monde, à ceux qui ont l’énergie vertueuse de prendre en main le pouvoir exécutif. Si quelque imposteur en possession de la puissance n’obéit pas, voici la sentence fériendus. Il faut mettre le feu aux villes et les détruire, car ce sont des écoles de tyrannie, de corruption et de misère, où se transforment en pierres et en boue toutes les magnificences et toutes les bénédictions de la terre. Par un retour spontané vers la nature, de libres sociétés se formeront ensuite sur le modèle de l’âge d’or, dans les lies des fleuves, dans les vallées au pied des montagnes, sous l’uniforme protection d’une tolérance religieuse universelle, au seul nom du vrai. Dieu, être des êtres, tout vivifiant et tout aimant. C’est la révolution française qui montrera l’accomplissement de toutes ces merveilles. Elle est par excellence l’acte divin, l’acte le plus solennel dont la terre ait été témoin depuis le déluge ; elle n’est rien de moins que l’aurore du jugement dernier pour les tyrans. L’ancien monde n’a rien vu et nos arrière-neveux ne verront rien de comparable à cette. émanation de la vérité divine qu’il nous a été donné de contempler. »


Voilà en face de quels dangers de toute sorte Gustave III multipliait ses imprudences. Obsédé par de vains fantômes, il n’apercevait pas les pièges qui lui étaient tendus, ou bien il se précipitait, pour échapper, vers d’autres abîmes. Cette démocratie enthousiaste qu’on a vue naître et grandir en Suède, il l’irritait par son défi éclatant envers la révolution française, comme il avait jadis irrité la noblesse en lui arrachant son ancienne puissance. Aussi devenait-il l’ennemi commun. On se rappelle quelles sourdes menées son frère Charles avait encouragées l’audace des sectaires qui entouraient le futur régent ne connut bientôt plus de bornes. Dans leurs pamphlets et dans leurs allocations mystiques, ils s’armèrent publiquement des prédictions que leurs voyans inventaient contre le roi. Ils l’abordaient lui-même pour lui reprocher son luxe, ses fêtes, ses spectacles, ou bien ils lui adressaient des avertissemens anonymes qui, dans un langage apocalyptique, le déclaraient réprouvé et rejeté du Seigneur. La croisade sur le Rhin à la tête de la coalition européenne apparaissait d’autant plus à Gustave III comme la seule issue par où il pût échapper à de telles obsessions. Cependant l’argent lui manquait encore au moment où il pensait qu’il suffirait peut-être d’aller une fois en avant pour entraîner les autres cours et s’assurer une gloire immortelle. En vain rappelait-on autour de lui que la Suède, épuisée, touchait à la banqueroute, que la nation tout entière, noblesse, bourgeoisie, peuple, se séparait de lui c’étaient autant de raisons à ses yeux pour précipiter l’accomplissement de ses desseins, devenu son unique ressource. Malgré les souvenirs de l’orageuse session de 1789, il convoqua une nouvelle diète, et on le vit à cette occasion accumuler, comme par bravade, toutes les fautes, pendant que la noblesse, coalisée avec la démo-