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les besoins ont augmenté encore davantage; il serait facile de le démontrer par le progrès de la population et par le développement de la richesse. Si on produit aujourd’hui trois fois plus de viande qu’il y a quinze ans, il y a peut-être quatre fois autant de gens qui peuvent en consommer; de même pour les céréales, de même pour le vin, et j’ajoute de même pour le numéraire.

Le numéraire répond dans la société à un besoin qui est susceptible de beaucoup de développement; plus les relations commerciales prennent d’importance, plus les transactions se multiplient, et plus on a besoin de ce qui est l’intermédiaire obligé des échanges. Sans doute on y supplée par des combinaisons de crédit, par des viremens de comptes, par ce qu’on appelle le système des compensations mais toujours est-il que le numéraire est au bout de toutes les transactions, que lui seul est accepté de tout le monde comme règlement définitif; par conséquent, jusqu’à ce qu’on ait trouvé le moyen de faire marcher de pair et en toute sécurité le progrès du crédit avec celui des transactions, il faudra toujours plus de numéraire à mesure qu’il y aura plus d’affaires. Nous ayons vu que depuis dix ans seulement le commerce extérieur avait doublé, et celui de l’intérieur triplé. Pendant ce temps, quel a été l’accroissement du numéraire? Si nous prenons les états de douanes, nous trouvons que, de 1854 à 1859, l’augmentation du numéraire, en ce qui concerne la France, a été de 187 millions par an de 1854 à 1859, et de 1859 à 1864 de 93 millions soit en tout pour dix ans 1 milliard 400 millions. C’est à peine le tiers de ce que nous en possédions déjà. Ainsi, pendant que nos affaires doublaient d’un côté, triplaient de l’autre, notre numéraire n’augmentait que dans la proportion d’un tiers. Cela explique que nous ayons pu depuis dix ans faire beaucoup de progrès en matière de crédit, recourir davantage au système des viremens, économiser plus que jamais le numéraire, et cependant que le prix de ce même numéraire se soit maintenu, s’il ne s’est pas élevé. On s’est demandé souvent ce qui serait arrivé si nous n’avions pas eu à notre disposition les mines d’or de la Californie et de l’Australie; ce qui serait arrivé, c’est que l’immense progrès industriel et commercial qui s’est accompli depuis dix ans eût été beaucoup moindre. Certes ce progrès a eu d’abord pour cause principale les chemins de fer; ce sont les chemins de fer qui sont venus tout à coup, dans des proportions qu’on ne soupçonnait pas, ouvrir des débouchés au commerce, mais les mines d’or ont eu aussi leur action éminemment utile. Les chemins de fer et les mines d’or, voilà les deux secrets de la prospérité industrielle et commerciale de l’Europe, et j’ajouterai du Nouveau-Monde depuis un certain nombre d’années.