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de 10 millions de livrés sterling ou 250 millions de francs. Ainsi 250 millions de francs, voilà le chiffre authentique auquel s’est borné pour toute l’Europe l’excédant d’exportation du numéraire vers l’Orient pendant les années 1863 et 1864 pour faire face à la cherté exceptionnelle du coton. Si maintenant nous ajoutons qu’il résulte de nos propres tableaux de douanes que pendant ces deux mêmes années notre importation de numéraire a encore dépassé notre exportation de près de 100 millions de francs chaque année, on sera bien convaincu que ce n’est pas seulement une exportation de numéraire qui a déterminé la crise de 1863 et 1864, et que si cette crise a été monétaire, elle ne l’a été, comme je l’ai dit, que par voie de conséquence, et parce qu’il y avait eu trouble dans le rapport du capital disponible avec les besoins.

Je ne veux pas entrer ici dans de longs développemens pour montrer ce qu’est le capital disponible; je me contenterai de dire que c’est Ia partie du capital d’un pays qui n’est pas engagée, qui reste libre pour les besoins nouveaux qui peuvent se présenter. La société a un revenu sur lequel elle vit, c’est la production annuelle; ce qu’elle ne consomme pas de ce revenu, ce qu’elle en économise constitue à la fin de l’année son capital disponible elle peut faire de ce capital l’usage qui lui convient, l’employer utilement ou le dépenser stérilement. Tant qu’elle ne le dépasse pas, elle reste dans des conditions normales, et rien n’est troublé dans les rapports économiques; mais si elle le dépasse, il faut, comme pour un particulier, ou qu’elle s’endette, ou qu’elle opère des retranchemens d’un autre côté. Elle s’endette en empruntant au dehors, ou en escomptant d’avance son revenu futur au moyen de certaines combinaisons de crédit, et le résultat de ces emprunts, sous quelque forme qu’ils se produisent, est toujours de faire monter le prix du capital. Pour qu’il ne montât pas, il faudrait qu’on fît ailleurs des retranchemens correspondant aux dépenses exceptionnelles, que, pour construire des chemins de fer par exemple, rebâtir des villes, on enlevât des capitaux à l’agriculture et à l’industrie. C’est bien ce qu’on fait dans une certaine mesure; mais cette mesure, quelque importante qu’elle soit, ne suffit pas il faut encore emprunter, et ces emprunts, je le répète, font monter le prix du capital, comme monte le prix de tout ce qui est plus demandé qu’offert il monte jusqu’à ce que la cherté devienne un obstacle au développement de la prospérité. Alors on s’aperçoit qu’on s’est trop engagé, on voudrait se liquider, et cette liquidation plus ou moins forcée amène ce qu’on appelle une crise. C’est ce qui est arrivé en 1857; c’est ce qui est arrivé encore en 1863 et 1864.