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fou, de dix vaches, s’il s’agit d’une folle. Mêmes soins pour l’enfant qui perd sa mère en venant au monde, mêmes soins pour le blessé et pour le malade. « Le malade doit être placé dans une maison convenable, non pas dans une des trois espèces de maisons de rang inférieur, où l’on voit sur les murs, des traces de limaces, mais dans une maison à quatre fenêtres, où il est possible d’établir un courant d’air. » La loi sur les saisies n’admet d’exceptions qu’en faveur de ceux qui sont à l’armée, combattant pour la tribu, et de ceux qui soignent un malade. Ce qu’on admire surtout, c’est le respect pour les parents et le divin amour pour la vieillesse, qui est encore aujourd’hui le plus beau trait du caractère irlandais. Les enfants sont tenus de soigner leurs parents âgés ou infirmes. Le produit de huit vaches est alloué à chaque vieillard, « à moins qu’il ne sache chanter et ne puisse gagner sa vie en amusant les autres. » Quand une famille néglige le soin de nourrir un vieillard et qu’une autre famille le nourrit, celle-ci devient son héritière. Il y a encore dans la loi des saisies un grand nombre de dispositions qui montrent le haut prix que l’on attachait à l’honneur et qui témoignent d’une vive délicatesse de sentiments. Les atteintes à l’honneur, la diffamation, la satire, « tout ce qui peut faire rougir un homme, » sont punies comme le vol et l’assassinat. L’offense s’aggrave quand l’insulte s’applique aux morts, qu’il s’agisse d’un homme que l’on raille ou d’une femme dont on prétend avoir obtenu les faveurs. Dans les choses nécessaires à la vie qui ne peuvent pas faire l’objet d’une saisie, on compte le jeu d’échecs du chef, le chien favori de la femme et les joujoux des enfants, « leurs palets, leurs balles, leurs cerceaux, car il ne faut pas, dit la glose, que ces petits êtres soient privés un seul jour de leur amusement accoutumé. »

Ce qui donne un intérêt particulier à ce livre de procédure, obscur en lui-même et encore obscurci par le grand nombre de mots non traduits dont il faut deviner le sens, c’est la ressemblance que l’on découvre sans cesse entre l’Irlande ancienne et l’Irlande moderne. Supprimez par la pensée tout ce qui est anglais en Irlande, ne voyez que l’Irlande des Irlandais, pour mieux dire l’Irlande des pauvres, vous serez au Ve siècle. Les champs sont, comme aujourd’hui, entourés de murs et de palissades, les uns labourés, les autres en pâturages. Plus de bêtes à cornes, et moins de moutons, du chanvre au lieu de lin, pas de pommes de terre, voilà la différence. Il n’est pas certain que la culture soit très inférieure à ce qu’elle est de nos jours. On fait un grand cas du fumier. Le chien de garde s’appelle le « chien du tas de fumier. » De fortes amendes sont imposées à celui qui s’empare du varech et des herbes marines propres à l’amendement des terres. On met le blé en moyettes avant de le mettre en meules, et l’on fabrique avec le