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« Dans le Senchus ont été promulguées les quatre lois suivantes : la loi sur la nourriture et sur l’éducation (fosterage), la loi relative aux libres tenanciers, la loi relative aux bas tenanciers et la loi des parentés sociales, ainsi que celle qui force à observer les contrats verbaux, car le monde serait dans la confusion, si les contrats verbaux n’étaient pas obligatoires.

« Il y a quatre dignitaires d’un territoire qui peuvent être dégradés : un roi injuste, un évêque impudique, un poète prévaricateur et un chef indigne qui ne remplit pas ses devoirs. À ceux-là il n’est pas dû de dommages. »


Je ne sais si je me trompe, et si le peu de goût que m’inspirent certaines polémiques modernes donne pour moi trop d’attrait à la vérité ancienne ; mais il me semble qu’il y a plus de lumière sur la mission de saint Patrick et les procédés de son apostolat dans le récit à la fois authentique et légendaire du Senchus que dans les Vies des Saints ou les écrits de saint Patrick lui-même. Saint Patrick était un Gallo-Romain d’une naissance et d’une éducation plutôt distinguées ; mais il avait été à seize ans pris par des pirates et emmené en Irlande. Pendant les six années que dura sa captivité, il se familiarisa avec la langue des habitants, adopta leurs mœurs, conçut un si vif amour pour l’Irlande que, de retour dans sa famille et au milieu de ses saintes études, l’Irlande, comme il le raconte lui-même, remplissait ses nuits de rêves et ses jours de pensées. Lorsqu’il se sent appelé par des voix divines à retourner dans le pays où il avait été esclave, il vient seul ou presque seul. Ses armes sont la douceur de l’Évangile et la force de sa foi. Il lui faut conquérir l’Irlande avec l’aide des Irlandais. Comment aurait-il été blesser leurs sentiments nationaux, attaquer leurs traditions et entraver l’œuvre du christianisme au profit d’une civilisation latine qui tombait et d’un empire romain incapable de défendre ses provinces ? Aussi le voit-on accepter tout ce qui est juste, bon ou simplement innocent. Ses efforts sont dirigés contre le druidisme et le paganisme organisés. Il captive, il achète la tolérance des chefs ; il ménage les poètes, auxquels il ne défend que les sortilèges en leur laissant libre carrière en ce qui touche les chants nationaux, et il montre pour les superstitions inoffensives une complaisance qui n’étonnera que ceux qui n’ont jamais cherché à atteindre un but. On en jugera par l’hymne qui a été pendant dix siècles la prière de toute l’Irlande, et qu’on chante encore aujourd’hui dans plus d’une cabane. Plusieurs ont contesté l’authenticité de cette vieille poésie irlandaise, et n’ont pas voulu qu’elle fût de saint Patrick à cause du mélange de doux paganisme et de ferveur chrétienne qui s’y trouve ; mais ce mélange même est une marque d’origine. Saint Patrick battait ses ennemis avec leurs propres armes, et dans tous ses actes il s’est efforcé de réduire le champ du combat.