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car malgré sa coquetterie pour la toilette en public il était extrêmement négligé et mal tenu en particulier. Ses premiers mots furent « Arthur, le cabinet est défunt. » Et alors il se mit à décrire la manière dont les derniers ministres avaient pris congé de lui en donnant leur démission. Cela était accompagné de la plus plaisante mimique de la voix et des façons de chaque personnage, et d’une si parfaite ressemblance qu’il était tout à fait impossible de ne pas éclater de rire. Les conditions du prince étaient que lord Grey ne fût de rien (lord Grey était pour lui ce que Fox était pour son père), qu’on ne fît pas de l’émancipation des catholiques une question de cabinet, que le lord chancelier, le lord lieutenant et le chancelier d’Irlande fussent protestans, c’est-à-dire du parti hostile aux droits des catholiques. Il eut satisfaction. On l’aurait bien surpris, lui et ses nouveaux ministres, de leur dire qu’il n’y gagnerait rien, et qu’à un an de là les adversaires de Canning exigeraient de lui ce que lui-même Canning n’aurait osé lui demander.


VII.

Pour personne, la composition d’un ministère dans une couleur exclusive n’offrait de sûreté. Wellington et Peel, qui devaient être les chefs, recherchaient l’alliance de tout le monde. Il s’agissait toujours de reconstituer le ministère Liverpool ou même de continuer le ministère existant en le faisant pencher d’un autre côté. Ils furent assez heureux pour conserver d’abord avec lord Lyndhurst Huskisson, lord Dudley, Charles Grant, lord Palmerston. William Lamb (lord Melbourne) resta secrétaire d’Irlande sous l’autorité du marquis d’Anglesey. Enfin Huskisson, rendant compte aux électeurs de Liverpool des motifs de sa participation à l’administration nouvelle, se crut en droit de dire « Je n’ai jamais été lié à ces opinions héréditaires des grandes familles ni aux haines qu’elles ont engendrées. Je ne me suis occupé, ainsi que M. Canning, que du bonheur de tous, et je serais indigne de m’appeler son ami, si je cherchais, en son nom, à perpétuer des animosités que son cœur abhorrait. Ainsi on n’abandonnera pas les principes libéraux de ce grand homme d’état, et celui-là serait indigne d’être le ministre de cette grande nation qui ne défendrait pas la cause de la liberté. »

C’était beaucoup promettre, et du moins de ce côté-ci du détroit cette assurance n’obtint pas une foi entière. Un des derniers actes de Canning avait été le traité par lequel l’Angleterre, la France et la Russie s’étaient entendues pour s’interposer entre la Turquie et la Grèce et procurer à celle-ci une certaine indépendance (6 juillet et quoique le portefeuille des affaires étrangères fût resté dans les mains d’un ami de Canning, lord Dudley, on ne croyait pas re-