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Il faudrait retracer l’histoire de l’Europe, si l’on voulait donner une idée du rôle de Canning pendant les cinq années qu’il fut secrétaire d’état des affaires étrangères. Il faudrait montrer l’attitude prise par la sainte-alliance en face des révolutions du midi, le parti décisif adopté par la France contre celle d’Espagne, enfin les événemens qui se passèrent dans la Péninsule. Le contraste que présenta l’Angleterre, en regard de ses anciens alliés la releva sans doute, et elle remit en honneur ce principe de non-intervention qui est le sien et qu’elle ne devrait jamais abandonner, en honneur, dis-je, non en pratique, car il faut bien reconnaître que l’effet produit par la présence de Canning ne fut en grande partie qu’un effet moral. Il ne fit que rendre le courage à l’opinion libérale. La presse cessa d’être seule à plaider la cause de l’indépendance des nations; mais, quoique le principe de non-intervention soit assurément fondé en justice et en humanité, ceux qui l’adoptent commencent par se l’imposer à eux-mêmes, c’est-à-dire qu’ils s’engagent à quoi? à une abstention. De là à déclarer qu’on imposera le principe aux autres, la distance est grande. Il est évident qu’à moins d’être décidé à faire la guerre à tout venant, on ne peut se promettre d’empêcher les autres d’intervenir parce qu’on n’intervient pas. Si la voix de celui qui a posé le principe n’est pas écoutée, il risque de le voir violer sous ses yeux sans pouvoir raisonnablement le défendre. Plus il a élevé le ton en le proclamant, plus il est humiliant pour lui de souffrir qu’on le foule aux pieds et de se borner à une protestation vaine; c’est à quoi s’exposait le ministre anglais en le prenant de si haut au moment de notre intervention en Espagne, La France n’en a tenu compte; il en a été pour ses frais d’éloquence, et je conçois que les amis de la restauration la félicitent encore aujourd’hui d’avoir, en 1823, bravé l’Angleterre. La bravade était sans danger, mais elle avait bon air, et Canning ne put rétablit quelque peu sa position qu’en préservant par un débarquement le Portugal d’une contre-révolution et d’une intervention absolutiste, et puis en humiliant l’Espagne par la reconnaissance de l’indépendance de ses anciennes colonies. Il obtint d’autorité du roi George IV et d’une partie de ses collègues le droit d’insulter ainsi aux préjugés de l’Europe indignée, en donnant du moins gain de cause aux révolutions du Nouveau-Monde. Les paroles provocantes qu’il prononça dans cette occasion furent presque une vengeance pour son amour-propre; mais tout le parti de l’avenir les entendit avec joie.

A l’intérieur, ce fut aussi par son langage et sa tendance plus que par des résultats que le ministère se distingua de ses devanciers. La question des catholiques ne fut pas résolue. De session en