Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/347

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

brassa. Mais il se détourna aussitôt, prit à part lord Malmesbury, qui avait négocié le mariage, et lui dit « Harris, je ne me sens pas bien, faites-moi donner un verre d’eau-de-vie. » Le même cordial lui parut si nécessaire le jour de la célébration qu’il se soutenait à peine à la cérémonie, et qu’un de ses témoins, le duc de Bedford, eut quelque peine à l’empêcher de tomber.

Cependant la princesse accoucha neuf mois moins un jour après son mariage d’une fille qui devait être la première épouse du roi des Belges et mourir à vingt et un ans. Le prince, qui avait déjà pris l’habitude de résider loin de sa femme, lui notifia dès lors une séparation absolue par une lettre de sa main où on lit que, si le ciel disposait de sa fille, elle ne devait pas espérer d’avoir un autre enfant. Elle quitta donc Carlton-House et se retira à Black-Heath, où elle vécut d’abord sans bruit. Les propos offensans que son mari tenait sur son compte ne nuisaient qu’à lui, et elle y gagnait de la considération à la cour et dans Londres. Dans les lieux publics, elle était bien accueillie. Le roi la traitait avec égards; elle était reçue au palais mais n’y rencontrait jamais son mari. Le déchaînement était tel contre lui, il était si décrié, que des personnes du beau monde qui devaient un jour solliciter les faveurs de George IV refusèrent de dîner avec le prince de Galles chez lord Holland, qui l’a lui-même raconté; des gentlemen ne devaient pas se trouver en pareille compagnie. Cette situation ne pouvait qu’ulcérer le prince contre sa femme, d’autant plus qu’il était persuadé que, par sa conduite personnelle, elle ne justifiait nullement le caprice de l’opinion en sa faveur. Il conçut pour elle une aversion qui ne s’est jamais démentie. On en donne cette preuve qu’en 1821, lorsque l’empereur Napoléon mourut, un courtisan empressé entra chez George IV en s’écriant « Sire, votre plus grand ennemi est mort! Vrai, elle est morte? » telle fut son premier mot.

A l’époque du ministère de Fox, il avait cru trouver une occasion de se venger de sa femme ou de briser au moins ses derniers liens avec elle. Il sut que sir John et lady Douglas, qui habitaient dans le voisinage de la princesse et qui avaient vécu dans son intimité, offraient de prouver qu’elle était secrètement accouchée d’un enfant quelques années auparavant, et il en instruisit le gouvernement. Le roi ordonna qu’une commission composée du chancelier, de deux ministres, les lords Grenville et Spencer, et du premier juge de la cour du banc du roi, procédât à une enquête non publique sur la conduite de sa belle-fille. Cette enquête, qui fut appelée dans le temps l’investigation délicate, disculpa la princesse sur l’article principal. Au moins reconnut-on que le fait n’était pas prouvé, on établit même la filiation d’un jeune enfant, William Austin, qui, né dans un hôpital, avait été recueilli dans la maison de Black-Heath ;