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fortifie le cœur de l’homme contre l’inévitable et l’irréparable dans la vie ; il rejette le second, celui qui recommande à l’homme le mépris de la jouissance. Ici nous retrouvons « cette moitié d’épicurien » dont il nous parlait tout à l’heure il veut bien souffrir en silence quand il est aux prises avec les sévérités de la nature ; mais en attendant que la maladie, que la souffrance arrive, il jouira de toutes les faveurs de l’indulgente mère ; il goûtera avec joie les dons brillans de la vie, qui en soi est belle et divine. Il sera spinoziste à ses heures, lisant avec passion l’Ethique, s’enivrant avec Spinoza de la contemplation mystique de l’unité absolue, méditant le grand mystère de la substance, remplissant son âme d’éternité et l’habituant aux joies austères du renoncement, du sacrifice, si facile, paraît-il, puisqu’il ne s’agit pour l’individu que de mourir à lui-même pour revivre dans l’infini. Puis, quittant Spinoza pour son grand adversaire, pour Leibnitz, il s’enchantera de sa théorie des monades, il s’assimilera autant que possible ses vues sublimes et ses divines harmonies, sans trop se soucier des dissonances trop sensibles entre la théorie qui fonde la personnalité et celle qui l’absorbe dans la suprême unité.

Jusqu’à son dernier jour, il se tiendra au courant de toutes les idées nouvelles, et sa passion de savoir, toujours jeune, se renouvellera avec toutes les doctrines et tous les noms nouveaux. Ses préventions contre l’esprit français avaient déjà cédé en partie devant l’éblouissante apparition de cet esprit lui-même, personnifié dans Mme de Staël. Il avait fini, après quelques craintes et quelques hésitations, par apprécier, comme il le méritait, ce projet si vaillamment poursuivi par la brillante visiteuse, de connaître à fond la société allemande, d’en coordonner les élémens, de s’éclairer sur les relations sociales, de pénétrer et d’approfondir « avec son grand esprit de femme la philosophie elle-même. On ne peut pas croire qu’au contact de cette vive et mobile éloquence, prodigue de sentimens enthousiastes et d’idées générales, il n’ait pas lui-même gagné quelque chose. Au récit détaillé qu’il nous a donné de cette visite, on sent que l’impression en a été profonde et durable. — Puis, quand éclate en France le mouvement littéraire et philosophique de la restauration, il faut voir comme le poète devient attentif à ce brillant et fécond tumulte d’idées, dont il pressent aussitôt les grands résultats. Il lit avec ardeur le Globe et en fait fréquemment le sujet de ses conversations. Depuis 1826, il ne cesse pas de s’occuper du journal initiateur et promoteur des idées nouvelles. en France et de ses principaux rédacteurs. « Ce sont tous, disait-il, des gens du monde enjoués, nets, hardis au suprême degré. Ils ont une manière de blâmer fine et galante… Je suis vrai-