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avec elle, nous avons affaire à la vérité infinie, éternelle, et elle rejette aussitôt comme incapable tout homme qui n’observe pas et n’agit pas toujours avec une scrupuleuse pureté. Je suis sûr que plus d’un esprit chez lequel la faculté dialectique est malade trouverait un traitement salutaire dans l’étude de la nature[1]. » Et quelle vive peinture je rencontre ailleurs de la jeune Allemagne, vouée au culte pédantesque de l’être, du non-être et du devenir ! « Si je disais que j’éprouve grand plaisir à voir les Allemands, surtout les jeunes savans qui viennent d’un certain pays du nord-est (Berlin), je mentirais. La vue basse, le teint pâli, la poitrine affaissée, jeunes sans jeunesse, voilà le portrait de la plupart de ceux qui se présentent. Et lorsque je me mets à causer avec eux, je vois tout de suite que ce qui nous plaît leur semble trivial et de nulle valeur. Ils sont tout entiers plongés dans l’idée, et ne savent s’intéresser qu’aux plus hauts problèmes de la spéculation. Il n’y a pas trace en eux de cette santé intellectuelle qui nous fait aimer les choses qui agissent sur les sens ; tous les sentimens jeunes, tous les plaisirs de leur âge sont partis pour eux, et ils ne peuvent plus revenir, car celui qui n’est pas jeune à vingt ans, que sera-t-il à quarante[2] ! »

Dans toutes ces philosophies, ce qui l’éloigne, c’est non-seulement la méthode idéaliste qui prétend créer le monde avec la raison pure, c’est aussi le systématique, le voulu, le parti-pris. Il y sent l’effort et par conséquent le faux. S’il fallait absolument trouver un analogue à son panthéisme dans l’histoire des idées, ce n’est pas en Hollande ni en Allemagne que j’irais le chercher, c’est en Grèce, dans la véritable patrie de la pensée, dans une des premières écoles de la philosophie, celle de Thalès et d’Héraclite. Il ne faudrait pas trop presser ces délicates analogies ; mais enfin, parmi les explorateurs de ces origines de la philosophie grecque, à qui ne sera-t-il pas sensible qu’il y a entre l’héraclitéisme des anciens âges et la philosophie toute moderne de Goethe un fonds commun d’inspirations, même d’idées ? Si l’on tient compte des progrès de la méthode, de la quantité infinie des phénomènes et des lois, des richesses de la science positive qui sont à la disposition de Goethe, et qui manquaient absolument à ces premiers philosophes, ne pourrait-on pas signaler plus d’un trait de ressemblance l’empirisme passionné, le sentiment vif de la réalité des choses, une certaine conception générale de la nature, l’absence de toute vue systématique, de dogmatisme régulier ? Oui, Goethe a je ne sais quelle

  1. Conversations de Goethe, t. Ier p. 421.
  2. Ibid., mars 1828.