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ses conceptions sur la destinée humaine. Il a sa théorie de l’immortalité mais c’est une immortalité tellement aristocratique que bien peu parmi les mortels peuvent en être les candidats sérieux. « Je ne doute pas de notre durée au-delà de la vie, disait-il, car dans la nature une entéléchie (un être arrivé à sa perfection) ne peut pas disparaître ; mais nous ne sommes pas tous immortels de la même façon, et, pour se manifester dans l’avenir comme grande entéléchie, il faut en être déjà une ici-bas. « Cela, en langage vulgaire, signifie pour mériter de vivre dans l’avenir, il faut avoir déjà vécu dans ce monde, et l’on n’a pas vécu, si l’on n’a pas pensé. Il était de ceux qui ne voient pas pourquoi un sauvage serait immortel.

Dans les vingt dernières années de sa vie, il revenait souvent sur ce grand sujet, s’efforçant, non sans peine, de concilier cette croyance avec ses instincts panthéistes. Un jour qu’après une promenade dans les bois il revenait à Weimar, il remarqua la beauté du soleil couchant qu’il avait en face de lui ; il cita ce mot d’un ancien « Même lorsqu’il disparaît, c’est toujours le même soleil ! n Et il ajouta avec une grande sérénité « Quand on a soixante-quinze ans, on ne peut pas manquer de penser quelquefois à la mort. Cette pensée me laisse dans un calme parfait, car j’ai la ferme conviction que notre esprit est d’une essence absolument indestructible ; il continue d’agir d’éternité en éternité. Il est comme le soleil, qui ne disparaît que pour notre œil mortel. En réalité, il ne disparaît jamais ; dans sa marche, il éclaire sans cesse. » Sa conviction se fondait sur l’idée d’activité, car si jusqu’à la fin, disait-il, j’agis sans repos, la nature est obligée de me donner une autre forme d’existence, lorsque celle que j’ai maintenant ne pourra plus retenir mon esprit. Toutes ces idées, vagues et dispersées, vinrent un jour se concentrer dans son esprit ; elles s’y ordonnèrent, et dans une grande circonstance de sa vie, sous le coup de la mort de Wieland, qu’il chérissait et vénérait, elles éclatèrent dans une magnifique inspiration. Non, une âme comme celle de Wieland, qui avait pu conduire une vie de quatre-vingts ans avec dignité et avec bonheur, qui s’était remplie et comme enivrée de tant de belles pensées, qui s’était élevée à de telles hauteurs de spéculation et d’art, cette âme qui déjà par son essence même était un trésor, douée si richement dès son entrée dans la vie et bien plus riche quand elle en sortit, cette âme ne peut rien souffrir d’indigne d’elle, rien qui ne soit en harmonie avec la grandeur morale qu’elle a montrée pendant de si longues années sur la terre ! Jamais, en aucune circonstance, il ne peut être question dans la nature de la disparition des puissances qui animaient de pareilles âmes. Et, reprenant sa concep-