Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/322

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux forces et aux lois. « Levez-vous de ce saint banquet et dispersez-vous dans toutes les régions ; élevez-vous avec enthousiasme dans l’univers et le remplissez. Déjà vous bercez dans des lointains immenses l’heureux songe des dieux, et vous brillez, astres nouveaux, parmi les astres vos frères, dans les champs semés de lumière… Vous vous emparez des terres informes, et vous déployez votre jeune force créatrice, afin qu’elles s’animent et qu’elles s’animent de plus en plus dans leur vol mesuré… Et, faisant votre période, vous produisez dans les airs émus les fleurs diverses ; vous imposez à la pierre, au fond de ses abîmes, ses formes permanentes. — Alors, avec une audace divine, chaque chose s’efforce de se surpasser ; l’eau stérile veut verdoyer, et chaque grain de poussière s’anime… Bientôt s’éveille, pour contempler la douce lumière, une multitude aux mille formes, et vous êtes saisis d’étonnement dans les campagnes heureuses, premier couple d’amans ! — Bientôt s’épuise une ardeur infinie dans l’échange délicieux des regards, et vous recevez avec reconnaissance la plus belle vie, qui émane de l’être universel et que vous lui rendez. »

On dirait un hymne de Proclus. Il y a là comme un souffle d’inspiration mystique. Jouissons en artistes de cette belle poésie ; mais après ? Nous sentons-nous éclairés ? Qu’apercevons-nous à travers tous ces symboles ? Ce chœur magique des forces qui se disperse à travers l’immensité pour y répandre la vie sous la règle des lois et des nombres divins représente-t-il l’activité aveugle du cosmos ou la cause vraiment cause, la raison active ? La question n’est guère douteuse, si l’on rapproche ces beaux vers de tant d’autres passages d’où il résulte que ce travail si brillant et si fécond de la nature n’est intelligent que par ses effets et pour qui sait en comprendre l’harmonie, non par son principe, qui est la vie, l’art suprême, mais sans le savoir. La technique divine de la nature est instinct, non pensée ; elle est souverainement inconsciente d’elle-même. Rien de plus merveilleux que l’œuvre de la création incessante, éternelle ; c’est toute une esthétique en acte elle travaille en vue de l’unité, de la règle suprême du type, avec quelle variété de combinaisons Une sorte de fantaisie et de caprice y trouve même sa place. « La création, dit quelque part le poète philosophe, repose tout entière sur le dessin, sur la plastique. » Cependant le principe divin qui travaille dans la nature n’est pas comme l’artiste qui compose son œuvre d’après de claires idées, avec une conscience nette et précise du but qu’il veut atteindre. Il y a quelque chose d’aveugle et de fortuit dans les coups de son art. « Il faut se représenter la nature comme un joueur qui, devant la table de jeu, crie constamment : au double ! c’est-à-dire ajoute toujours ce que son bonheur lui a donné à sa mise nouvelle, et cela à l’infini. Pierres,