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hommes se donnassent à lui et en acceptassent l’idée comme le lien le plus doux qui pût les unir avec le ciel ; mais ce grand être, que nous nommons la Divinité, ne se manifeste pas seulement dans l’homme, il se manifeste aussi dans une riche et puissante nature et dans les immenses événemens du monde. Une image de lui, formée à l’aide des seules qualités de l’homme, ne peut donc suffire, et l’observateur rencontrera bientôt des lacunes et des contradictions qui le conduiront au doute, même au désespoir, s’il n’est pas assez médiocre d’esprit pour se laisser calmer par une défaite spécieuse[1].

Osons nous élever à un point de vue plus large. Spinoza nous en donne l’exemple et la leçon. Que les œuvres et les manifestations de Dieu dans le monde, l’étendue et la pensée, nous servent de point d’appui pour arriver jusqu’à l’intuition de la substance qui les soutient et les produit. « Aucun être ne peut tomber dans le néant, s’écrie Goethe dans la belle poésie intitulée Testament ; l’essence éternelle ne cesse de se mouvoir en tous sens. Attachez-vous à la substance avec bonheur. La substance est impérissable, car des lois protègent les trésors vivans dont se pare l’univers. » Du reste, n’espérons pas de grandes lumières sur cette substance. Goethe se retranche dans l’obscur et l’impénétrable pour n’en rien dire ou pour en parler d’une manière si vague, qu’en vérité le silence serait aussi clair. C’est ici que l’on surprend la faiblesse et l’inanité d’un des plus beaux génies du panthéisme dans ses inutiles efforts pour donner quelque précision à sa pensée. Est-ce dire quelque chose que d’écrire en vers harmonieux cette profession de foi « Voici bien des années que mon esprit avec joie, avec zèle, s’était efforcé de rechercher, de découvrir comment la nature vivante opère dans la création ? Et c’est l’éternelle unité qui se manifeste sous mille formes le grand en petit, le petit en grand, toute chose selon sa propre loi, sans cesse alternant se maintenant ; près et loin, loin et près, formant, transformant !… Pour admirer, je suis là[2] ! » Un jour, pressé par Falck de questions qui ne veulent pas rester sur un éternel peut-être, il accorde qu’on peut se représenter Dieu au centre de l’univers, dont il fait partie lui-même, comme une monade dominante, douée d’amour, et se servant de toutes les monades de cet univers, comme notre âme se sert des monades inférieures soumises à notre dépendance. — Ailleurs, dans des vers qui paraissent être sortis d’une pensée fortement émue par une lecture du Timée ou par quelque brillante leçon de Schelling, Goethe célèbre l’âme du monde. Cette âme distribue leur tâche sublime

  1. Conversations de Goethe, trad. citée, t. II, p, 264 et sqq.
  2. Poésies, — Dieu et la Monde, trad, citée.