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tive la cause est tout intérieure, l’acte divin est immanent. « Que serait un dieu qui donnerait seulement l’impulsion du dehors, qui ferait tourner l’univers en cercle autour de son doigt ? Il lui sied de mouvoir le monde dans l’intérieur, de porter la nature en lui, de résider lui-même dans la nature, si bien que ce qui vit et opère et existe en lui ne soit jamais dépourvu de sa force, de son esprit. Dans l’intérieur est aussi un univers de là l’usage louable des peuples que chacun nomme Dieu, et même son Dieu, ce qu’il connaît de meilleur, lui abandonne le ciel et la terre, le craigne et, s’il est possible, l’aime[1]. » Comment l’action éternelle opère-t-elle ? Nous en sentons, nous en voyons les effets. C’est donc sur une expérience positive que repose la réalité de cette action ; mais que peut-elle être en soi, dans son principe ? quelle image ou quelle idée pouvons-nous nous en faire ?

Toutes les philosophies et les religions échouent quand elles veulent traduire l’ineffable et nous en donner quelque pressentiment. C’est là que la foi philosophique se donne libre carrière. C’est là, nous dit Goethe dans un passage remarquable où il résume à sa manière l’histoire des religions, qu’il faut chercher l’origine et la raison de cette variété infinie des symboles. Au fond, nous autres hommes, devant le grand tableau surnaturel du monde, nous jouons tous plus ou moins le rôle d’un ignorant que l’on place devant un tableau un peu compliqué. Les parties éclairées, attrayantes, nous attirent, les parties sombres et désagréables nous repoussent, l’ensemble nous trouble, et nous cherchons en vain à nous faire une idée claire d’un être unique à qui nous puissions attribuer tant d’élémens contraires. — Si cet être voulait dès maintenant nous transmettre et nous révéler ses secrets, nous ne les comprendrions pas, nous ne saurions qu’en faire. À ce point de vue, il est donc juste que les religions soient l’œuvre d’hommes supérieurs et, comme telles, proportionnées aux besoins et aux facultés d’une grande masse de leurs égaux. Si elles étaient l’œuvre immédiate de Dieu, personne ne les comprendrait. La religion des anciens Grecs se bornait à incarner dans différentes divinités les manifestations diverses de l’impénétrable, Ces divinités isolées étaient des êtres limités ; il restait, pour les lier toutes ensemble, une place vide. Les Grecs inventèrent l’idée du fatum, qu’ils mettaient au-dessus de tout ; mais comme cet être restait toujours de tous côtés impénétrable, la difficulté était plutôt éludée que résolue. Le Christ eut l’idée d’un Dieu unique auquel il donna toutes les perfections qu’il sentait en lui-même. Ce Dieu, essence de sa belle âme, était plein de bonté et d’amour, et tout à fait digne que les meilleurs des

  1. Poésies, — Dieu et le Monde.