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sauver Chatham, qui abandonna son poste de grand-maître de l’artillerie mais il échappa pour lui-même à un vote de censure, grâce à une majorité de 48 voix. Lord Wellesley aurait désiré un résultat contraire. Étranger aux désastres de la dernière campagne, il espérait que la retraite du cabinet l’appellerait à la mission d’en former un nouveau. Déjà il avait essayé vainement de faire rentrer Canning on s’était sans plus de succès adressé à lord Castlereagh, à lord Sidmouth (c’était le titre de pairie d’Addington). Le cabinet resta donc tel qu’il était, faible, ébranlé, divisé, mais soutenu par un complaisant respect pour un roi infirme et septuagénaire qui oscillait entre la décrépitude et la folie.

Cependant jamais, comme le remarque sir George Lewis, les espérances qui pouvaient soutenir l’Angleterre dans sa lutte contre Napoléon n’étaient tombées si bas peut-être qu’à la fin de l’année 1809 il était le maître partout; l’Espagne même, évacuée par les Anglais, n’opposait plus que des bandes de partisans, faciles apparemment à disperser. La paix avec l’Autriche allait être cimentée par un mariage qui, en couronnant la fortune de l’empereur, pouvait fonder sa dynastie. « Enfin, n’ayant plus d’adversaire digne de lui, de la bataille de Wagram à celle de Smolensk[1], plus de trois années il resta sans combattre. » Mais des yeux clairvoyans auraient pu déjà reconnaître et dans cette campagne même de 1809, et peut-être dès la campagne de Pologne, les effets de ce mal terrible, de ce délire particulier attaché à la toute-puissance. Il commençait à croire son génie infaillible, sa force illimitée, ses ressources inépuisables, sa fortune à jamais fixée. C’est l’illusion fatale qui d’Alexandre fit un dieu.

Et cependant le chef médiocre et débile de la seule nation qu’il estimât entre ses ennemis s’affaissait sous l’atteinte d’une démence plus humble et moins funeste. Au mois d’octobre 1810, le roi George III perdit la raison, qu’il gardait si péniblement, pour ne la retrouver jamais.

Il fallut songer à un bill de régence, et le prince de Galles fut investi de l’autorité royale avec quelques restrictions qui devaient expirer au bout d’une année, Il ne pouvait disposer des hautes charges de la cour, mais il avait le libre choix des ministres. Il fit faire à lord Grey et à lord Grenville l’offre inacceptable de s’adjoindre à Perceval et à ses collègues, et sur leur refus il n’alla pas plus loin. Une triple expérience permettait encore de s’attendre au rétablissement du roi, et le régent ne pouvait, disait-il, supporter l’idée qu’en recouvrant la raison son père ne se vît entouré que

  1. Du 6 juillet 1809 au 17 août 1812.