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bâtir des écoles et payer des instituteurs. On réclame de toutes parts la décentralisation et cette forme d’administration qu’on désigne par un mot anglais, le self-governement. Dans beaucoup de pays sans doute, et surtout en France, il est temps de desserrer les liens trop étroits qui enchaînent la spontanéité des populations et qui font dépendre leurs mouvemens d’une volonté unique, seule active au centre ; mais, qu’on se le persuade bien, la décentralisation ne produira de grands résultats et ne conduira à la liberté, l’exemple de l’Amérique le prouve, que quand l’instruction sera largement répandue jusque dans les dernières couches du peuple. Autrefois la conquête et la guerre étaient le but de l’état, parce qu’elles donnaient des richesses, des honneurs et de la gloire à ceux qui dans l’état étaient tout, les seigneurs et le souverain. Aujourd’hui le but de l’état est ou devrait être d’assurer à tous les citoyens le plein et libre développement de leurs facultés. Or le seul moyen de leur procurer ce bienfait en les affranchissant désormais de toute tutelle, c’est de fonder beaucoup d’écoles et d’y donner une instruction forte, attrayante, complète dans sa sphère. Les États-Unis l’ont compris plus tôt et mieux que tout autre pays. On y a vu le pouvoir fédéral, les états, les communes et les particuliers rivaliser de zèle pour répandre l’enseignement et ne reculer devant aucun sacrifice. À peine un état naît-il, comme le Kansas ou l’Orégon, à peine un territoire est-il constitué, comme le Dacota ou le Nevada, que déjà tout est préparé pour multiplier les écoles à mesure que la population s’accroîtra. L’instruction du peuple est une œuvre nationale à laquelle chacun contribue, dont tout le monde s’occupe, et qui ne laisse personne indifférent. Voilà le grand exemple que nous offre l’Union américaine, et qui doit éveiller de plus en plus l’émulation de l’Europe.


ÉMILE DE LAVELEYE.