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dans la carrière; mais dans les campagnes le renouvellement est très grand. Ce qui le prouve, c’est que de l’hiver à l’été la proportion des hommes et des femmes employés varie beaucoup. Ainsi en 1861, dans le Massachusetts, il y a eu en été seulement 472 instituteurs pour 4,856 institutrices, et en hiver 1,508 instituteurs pour 3,886 institutrices. Le nombre des premiers a donc augmenté de 1,036, et celui des secondes a diminué de 970, En été, lorsque l’école est surtout fréquentée par les filles et les jeunes garçons, on ne prend que des femmes. En hiver, quand les garçons de douze à seize ans suivent les leçons, on appelle un plus grand nombre de maîtres. Les instituteurs ne restent que peu de temps dans cette fonction; elle n’est point pour eux une carrière à vie, comme en Europe; c’est un noviciat qui prépare à une existence plus active et plus aventureuse, une manière de se pénétrer mieux de ce qu’ils ont appris en l’apprenant aux autres. Fils de cultivateurs, souvent au bout de deux ou trois ans, quatre ou cinq au plus, ils réunissent leurs économies, partent pour l’ouest et y achètent des terres qu’ils mettent en valeur. Le nombre d’hommes et de femmes qui ont été pendant un certain temps dans l’instruction publique est incroyable. En lisant la vie des hommes distingués des États-Unis, on voit que la plupart ont été maîtres d’école. Dans la plus riche société des grandes villes, on rencontre à tout instant d’anciennes maîtresses d’école. On les reconnaît, dit-on, à la précision de leur langage et à la netteté de leur pensée. Le chiffre des instituteurs qui se sont enrôlés dans l’armée fédérale est vraiment prodigieux, Je n’ai vu de statistique à ce sujet que pour un seul état, l’Ohio, mais cela suffit pour faire juger des autres. En 1861, l’Ohio comptait 10,459 instituteurs, et en 1862 il en est entré 4,617 dans l’armée fédérale, c’est-à-dire environ la moitié[1]. Dès la fin de l’année,

  1. Ce fait est une preuve entre mille de la fausseté de cette assertion des ennemis de l’Union, qui soutenaient que la cause du nord n’était défendue que par des mercenaires étrangers. Ils ne voyaient que les Irlandais de New-York; ils fermaient les yeux sur le patriotisme ardent qui soulevait l’élie de la population. Jusque dans les rapports des surintendans de l’instruction, on voit éclater ces nobles sentimens. Je lis dans celui de M. Bandall, de New-York « Aussitôt après la prise du fort Sumter, la bannière étoilée fut arborée sur toutes les écoles de la cité, et les cent mille enfans qui les peuplent chantèrent d’une voix unanime l’air national. Sans négliger le cours ordinaire des études, on s’occupa activement dans tous nos établissemens de procurer des secours aux soldats en campagne. Plusieurs de nos instituteurs s’enrôlèrent, et un grand nombre de maitresses s’engagèrent dans les hôpitaux. Tous, maîtres et écoliers, n’épargnèrent aucun effort et aucun sacrifice pour défendre la grande cause de l’Union contre les traîtres qui osent l’attaquer. » On voit par ce seul trait comment la vie nationale pénètre et élève l’enseignement primaire.