Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/282

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

soldats et vingt milliards de francs. C’est une preuve inouïe de puissance et de richesse; mais ce qui mérite plus encore l’étonnement et l’estime, c’est que ce même peuple, contraint de subir mille taxes et mille gênes, lui qui n’en avait connu que de rares et de légères, ait maintenu au pouvoir un gouvernement qui lui avait demandé ces sacrifices, et qui ne pouvait encore s’en faire absoudre par la victoire. C’est le signe d’une grande sagesse et d’une grande prévoyance dont une nation ignorante eût été incapable. L’école a été le salut de la démocratie américaine.

Il est donc certain que l’instruction primaire a donné en Amérique des résultats incomparables. Voyons maintenant quelle est son organisation, et comment on est arrivé à l’établir.

A peine débarqués sur le sol de leur nouvelle patrie, les premiers émigrans, les pilgrim-fathers, s’occupèrent de l’instruction des enfans. Un règlement de 1642 porte qu’on ne permettra pas « cette barbarie qui consiste à ne pas apprendre aux enfans à lire et à connaître les lois pénales. L’enseignement, ainsi imposé par l’état, était donné par des maîtres que choisissaient les pères de famille. Toutes ces parties du pays qui formèrent depuis les états de Massachusetts, Connecticut, Maine, Vermont, New-Hampshire et Rhode-Island, et qu’on désigne sous le nom collectif de Nouvelle-Angleterre, rivalisèrent de zèle pour un objet dont elles appréciaient la suprême importance. C’est dans ces écoles, tout imprégnées de l’esprit puritain, que se forma cette race religieuse, morale, pratique, entreprenante, qui est vraiment le sel conservateur de la grande république, À cette époque, nul n’était complétement illettré tous les citoyens recevaient à peu près la même instruction. Plus tard, les guerres de l’indépendance, la conquête du sol, la fondation de nouveaux états, l’établissement des nouvelles voies de communication, canaux et chemins de fer, firent négliger un peu le soin de l’instruction publique. L’émigration avait introduit dans le pays un grand nombre de familles ignorantes et pauvres. Les anciens règlemens qui rendaient l’enseignement obligatoire étaient tombés en désuétude, L’ignorance gagnait du terrain. Enfin, il a une trentaine d’années, quelques hommes clairvoyans poussèrent le cri d’alarme. Alors se produisit un de ces mouvemens d’opinion, un de ces réveils dont nous n’avons nulle idée en Europe. De toutes parts se formèrent des associations ayant pour but l’amélioration de l’instruction. Des recueils périodiques, des journaux destinés à élucider la question parurent en foule. Plusieurs personnes des plus distinguées de l’Union, MM. Henry Barnard, Horace Mann, les professeurs Stowe et Bache, partirent pour l’Europe, afin d’y étudier les systèmes les plus renommés. De retour en Amérique, ils