Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 60.djvu/275

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un nouveau moteur destiné à parer à l’épuisement de la houille, l’expédient qu’on a indiqué quelquefois n’est guère consolant, puisqu’on est allé jusqu’à proposer les chutes du Niagara pour faire marcher toutes les manufactures du monde, qu’on voudrait concentrer dans leur voisinage. On se servirait alors de l’eau, soit directement, soit pour comprimer l’air et obtenir de cette dernière façon le plus avantageux et le plus économique des moteurs. Tout cela est très bien en théorie, mais peu applicable en pratique. D’ailleurs imposer aux usines le voisinage d’un cours d’eau, ce n’est pas seulement remonter vers le passé, c’est encore rendre aujourd’hui bien peu d’établissemens possibles. Ce n’est que dans des cas tout particuliers, comme celui par exemple du percement des Alpes, que l’emploi de l’air comprimé devient utilement et économiquement applicable.

On ne saurait non plus opposer aux machines à vapeur les machines électro-motrices, auxquelles on avait pensé un moment il y a quelques années, et qui sont restées et resteront à l’état de jouets mécaniques, non plus que les machines à gaz, à air dilaté, autour desquelles on a récemment fait tant de bruit. Ces dernières ne consomment-elles pas, pour une force donnée, beaucoup plus de combustible, souvent trois et quatre fois plus, que la machine à vapeur ordinaire? Si elles l’emportent sur celle-ci, notamment pour de petites forces, par exemple la machine Lenoir, n’est-ce pas simplement à cause de dispositions particulières, non à cause de l’économie du combustible, qu’elles ne réalisent jamais? Encore moins faut-il songer aux machines par explosion, qui, de leur nature, ne sont guère susceptibles d’application, hormis pour le jet des projectiles. Les machines où l’on voudrait produire la vapeur par frottement consomment plus qu’elles ne donnent; les machines à vapeurs combinées[1], si ingénieuses, si bien agencées, n’ont fourni que des preuves négatives.

Ainsi, en l’état de nos connaissances, on ne saurait opposer à la machine à vapeur rien de plus simple et de plus complet. Où donc puisera-t-on la force mécanique quand la houille aura disparu ou sera devenue trop coûteuse par suite d’une trop grande profondeur au-dessous du sol ou de l’éloignement des derniers gîtes des centres de consommation ? Question jusqu’ici insoluble, à moins que l’on n’arrive à utiliser, à condenser l’immense chaleur perdue du soleil, en un mot à mettre le soleil en bouteilles, solution que nous indiquait un jour plaisamment un homme familier avec toutes les spéculations de la science. Le charbon, c’est du soleil en cave, disent en ce cas les Anglais. On pourrait aussi revenir aux miroirs d’Archimède et renouveler à ce sujet les étonnantes expériences de combustion qui ont été refaites par Buffon et ses disciples sur la foi du géomètre grec; mais ici encore l’essai ne semble guère tout d’abord applicable en pratique.

  1. On appelle machines à vapeurs combinées celles où l’on emploie la chaleur perdue de la vapeur d’eau, après qu’elle a agi sur le piston du cylindre, à vaporiser un liquide plus volatil que l’eau, tel que l’éther, le chloroforme, etc., qui agit à son tour par sa détente sur un autre cylindre. On économise ainsi jusqu’à 50 et 75 pour 100 de houille. M. Du Tremblay, un de nos plus ingénieux mécaniciens, s’est surtout fait remarquer dans l’invention de ces machines; mais il a lutté contre des difficultés presque insurmontables: la nature explosible des liquides employés et la résistance qu’ils opposent à la condensation dans les températures estivales ou torrides.