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quoi les détromper? dit la princesse impassible. Cette erreur peut sauver la reine. » Le 10 août, Mme Élisabeth assiste encore avec un calme qui ne se dément pas aux funérailles de la monarchie. Elle suit le roi dans ce triste cortège qui va des Tuileries à l’assemblée. La princesse est l’ange de la prison, comme elle avait été l’ange de la cour. Tant que la famille royale est réunie, il y a encore des momens de douceur, de consolation. Mme Élisabeth donne au petit dauphin et à Madame Royale des leçons de musique. On entend quelquefois résonner des chants sous les fenêtres du Temple. C’est la voix des deux pauvres enfans captifs. Dans son livre sur Louis XVII, M. de Beauchesne a raconté tous les détails de cette captivité si touchante et cette scène du 20 janvier, cette heure d’angoisse où le monarque infortuné embrasse sa femme, sa sœur, ses enfans pour la dernière fois. La convention ne laissera pas à la reine et à Mme Élisabeth l’adoucissement d’une même prison; mais dans sa cruelle solitude c’est encore à sa vertueuse belle-sœur que s’adressent les pensées de Marie-Antoinette. C’est à elle qu’elle écrit, le 16 octobre 1793, à quatre heures et demie du matin, quelques heures avant de monter à l’échafaud, cette lettre admirable où elle lui disait « Et vous, ma bonne et tendre sœur, vous qui avez par votre amitié tout sacrifié pour être avec nous, dans quelle position je vous laisse! »

Un instant l’on put croire que les terroristes avaient oublié la sœur de Louis XVI. Depuis qu’elle avait été séparée de la reine le 2 août 1793, elle était restée au Temple avec Madame Royale (la future duchesse d’Angoulême). On lui avait caché la mort de Marie-Antoinette, dont la lettre d’adieux ne lui était point parvenue. Tenue au secret et vivant dans une ignorance absolue de tout ce qui se passait au dehors (elle ne savait de nouvelles que celles qu’elle entendait crier dans la rue par les colporteurs), Mme Élisabeth s’occupait de l’éducation de sa nièce, dont elle était devenue la seconde mère. Jamais elle n’avait été plus calme, plus résignée, plus douce dans le malheur. C’est alors qu’elle composa la prière du matin qui commence par ces mots « Que m’arrivera-t-il aujourd’hui, ô mon Dieu ? Je n’en sais rien; tout ce que je sais, c’est qu’il ne m’arrivera rien que vous n’ayez prévu, réglé, voulu et ordonné de toute éternité. » Dans la soirée du 9 mai 1794, les deux princesses venaient de s’endormir, avec la consolation d’avoir offert un jour de plus leurs souffrances à Dieu, quand elles entendirent ouvrir les verrous de leur prison. Mme Élisabeth se hâtait de passer sa robe. « Citoyenne, lui dit-on, descends tout de suite, on a besoin de toi. Ma nièce reste-t-elle ici? s’écria-t-elle alors. Cela ne te regarde pas, on s’en occupera. » Mme Élisabeth, se jetant au cou de Madame Royale, essayait de la rassurer en lui disant « Soyez tranquille, je vais remonter. » Menée en fiacre à la Conciergerie, le lendemain, elle subissait un simulacre de jugement. On affecta de la conduire au supplice sans aucune distinction, en la plaçant sur le même tombereau que vingt-trois autres victimes. Pendant le trajet funèbre, l’une des condamnées, la marquise de