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la plus petite chose la blesse. Ne te charge pas l’esprit de scrupules., tu offenserais Dieu qui t’a fait tant de grâces et qui mérite bien que tu ailles à lui avec la confiance d’un enfant. »

Plus occupée des choses du ciel que des choses de la terre Mme Élisabeth avait cependant en politique des idées ou, pour mieux dire, des convictions fort arrêtées. Caractère énergique, elle souffrait en silence de la faiblesse de son frère, et, sans jamais se permettre contre lui la plus légère critique, elle s’apercevait de toutes les fautes que ce prince malheureux commettait par excès de bonté. Elle écrivait à Mme de Bombelles le 1er mai 1790 « Tu crains la guerre civile; moi, je t’avoue que je la regarde comme nécessaire. Jamais l’anarchie ne finira sans cela, et je crois que plus on retardera, plus il y aura de sang répandu. Voilà mon principe. Il peut être faux. Cependant, si j’étais roi, il serait mon guide, et peut-être éviterait-il de grands malheurs. » Elle voyait avec peine qu’on avait laissé échapper les occasions d’agir, et qu’il était trop tard pour regagner le temps perdu. « Si nous avions su profiter du moment, disait-elle dans la même lettre, croyez que nous aurions fait beaucoup de bien; mais il fallait avoir de la fermeté; il fallait affronter les dangers, nous en serions sortis vainqueurs. » Elle s’affligeait de voir le roi tomber dans un découragement, dans une torpeur qui allait jusqu’à l’abattement physique, jusqu’à une complète atonie. La reine elle-même, la reine si héroïque, si digne, par son courage, de sa mère Marie-Thérèse, avait des momens où elle succombait à la douleur. « Ma fille pleure souvent avec moi, écrivait-elle à la duchesse de Polignac en 1790. Je dévore mes larmes pour cette pauvre petite, et la sérénité d’Élisabeth nous soutient et nous relève tous. »

Le dévouement de Mme Élisabeth était d’autant plus digne d’éloges qu’il était purement volontaire. Quand Mesdames, tantes du roi, partirent de Bellevue, au commencement de 1791, pour aller se réfugier à Rome, elles voulurent emmener leur nièce. La vie de Rome eût convenu parfaitement aux goûts de la princesse, qui y aurait trouvé, avec la société de ses tantes, qu’elle aimait tendrement, un asile calme et religieux. Il lui aurait été non moins facile de suivre dans l’émigration ses frères les comtes d’Artois et de Provence. Elle ne s’arrêta pas un seul instant à cette pensée; elle voulut rester près du roi, comme au poste de l’honneur, du danger, du devoir. Cette résolution, si conforme à son caractère courageux et dévoué, lui paraissait toute naturelle. Partir serait à ses yeux « une barbarie et en même temps une platitude dont elle serait bien fâchée qu’on la crût capable. »

Associée à toutes les angoisses de l’agonie de la royauté, elle ne montre jamais plus de calme, plus de présence d’esprit qu’au milieu des plus grands périls. Dans la journée du 5 octobre 1789, elle sauve plusieurs gardes du corps. A Varennes, elle conserve toute sa fermeté d’âme dans ce fatal moment où l’arrestation du roi fugitif est le signal de la chute de la monarchie. Barnave s’est assis dans le fond de la voiture du roi, entre Louis XVI et la reine, Mme Élisabeth est sur le devant avec Pétion et Madame Royale.